La Genèse de la théorie de la fenêtre brisée ou « the Theory of the broken window » Le professeur en sociologie Phillip Zimbardo a mené en 1969 une expérience en deux étapes dans la ville de New-York. La première étape consiste à abandonner deux voitures, l'une dans un quartier pauvre et non sécuritaire, l'autre dans un quartier riche et calme. La voiture abandonnée dans le quartier riche n'a pas connu des dégâts tandis que la voiture du quartier pauvre a été endommagée et plusieurs carreaux sont cassés. Ensuite dans une deuxième étape, il a été décidé de briser un carreau de la voiture abandonnée dans le quartier riche. Le résultat est que cette voiture a été vandalisée de la même manière que celle laissée dans le quartier pauvre. Cette expérience montre ainsi que ce n'est pas la pauvreté, mais surtout l'absence de lois et de contrôle qui est la cause des dégâts. Le message retenu de cette expérience est que si on a omis de réparer la première vitre, le rythme des fenêtres brisées augmente et la criminalité augmente aussi. Dans ce sens, il est évident que ce n'est pas tant la vitre brisée elle-même qui est importante, mais le message envoyé aux citoyens qui est crucial. Cette expérience a abouti à la naissance de la théorie de la fenêtre brisée ou « the Theory of the broken window » (développée par George L. Kelling et James Q. Wilson en 1982). Plusieurs chercheurs ont mis en évidence cette théorie sur des bâtiments et des biens publics dans différents pays. Toutes les études ont montré par analogie à cette expérience que les petites détériorations et destructions entrainent forcément une dégradation de plus en plus importante. L'implication de cette théorie est que les autorités publiques doivent punir sévèrement des actes de vandalisme même mineurs pour éviter d'autres plus graves. Comment on arrive à la détérioration généralisée des biens publics ? Selon la théorie de la vitre brisée, le signal envoyé par les autorités affecte le comportement des citoyens. Lorsque les rues sont propres, bien aménagées et bien entretenues, cela envoie le signal qu'elles sont surveillées et que le vandalisme et la criminalité ne sont pas tolérés. Dans une situation contraire c'est-à-dire une rue en désordre, comportant des vitres brisées et des ordures partout dans le sol, envoie le signal que le quartier n'est pas contrôlé et qu'il est toléré de commettre plus de délits, ce qui augmente l'incivilité. En plus, le sentiment d'impunité accentue ce comportement et généralise le désordre dans toutes les propriétés publiques, toutes les terres domaniales et tous les biens publics. Exemple de mise en œuvre et bilan Sous l'influence de la théorie de la vitre cassée, plusieurs pays ont instauré des politiques pour prévenir le vandalisme et la délinquance. Etats- Unis Cette théorie a été appliquée aux Etats-Unis dans les années 90. Elle a connu une réussite à New York suite à la politique de l'ancien maire de l'époque Rudolph Giuliani. Le taux de criminalité a diminué de plus de 85% suite à l'application de la politique de la tolérance zéro. Elle consiste à proposer des condamnations plus sévères contre tous les crimes et une présence accrue des contrôles. Aujourd'hui, la ville utilise des caméras de surveillance, de l'intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale et autres techniques de contrôle plus avancées. Toutes les infractions seront réprimées, mêmes mineures. Les circonstances atténuantes et les arguments en faveur des critères sociaux ne sont plus pris en considération. Les barons de la drogue et les corrompus sont tombés. Japon Le Japon a accordé un rôle important à l'éducation morale et à la participation des riverains dans le maintien de l'ordre et la protection des biens publics. Les japonais ont commencé par encourager la pratique des salutations et du nettoyage au sein du quartier. Le tremblement de terre a provoqué par la suite à une prise de conscience collective pour aider les sinistrés. Un plan a été mis en application dans l'objectif de créer une ville qui puisse se prémunir de la délinquance, des catastrophes, des accidents de la route et des risques pour la santé. La Tunisie et la théorie de la fenêtre brisée Le message proposé par cette théorie est que dès que se multiplient des signes d'abandon, le vandalisme tend à se manifester et qui pourrait toucher tous les biens, services et domaines publics. Si nous voulons construire une société cohésive et ordonnée, nous devons commencer par résoudre les petits désordres. Laisser ces désordres sans résolutions pour une période, cela permet de les agrandir et de les multiplier. Les ordures dans les rues doivent être enlevées rapidement, le code de la route doit être respecté, les trottoirs doivent être propres et réservés aux piétons, les moyens de transport public (bus, métro, TGM, avion etc.) doivent être propre et contrôlés, la corruption doit être limitée etc. Cette théorie pourrait être appliquée à de nombreuses activités : * Lorsqu'un individu laisse des ordures dans des lieux publics (rue, marchés, parcs etc.) et que la municipalité ne ramasse pas ces ordures dans un délai court et qu'aucune sanction n'est imposée à celui qui les a jetées, ces actions encouragent d'autres personnes à faire de même. Ce comportement se propagera dans d'autres zones et aura des effets négatifs sur l'environnement et la qualité de vie. * Lorsque les enseignants assurent des cours particuliers, ils réduisent ainsi le pouvoir d'achat des parents sans contrôle et sanction effective. Ce comportement devient acceptable et se propagera même à l'enseignement supérieur. * Lorsque la petite corruption n'est pas punie, cela augmentera sa taille et encouragerait sa diffusion dans toutes les activités. * Lorsque la sécurité dans les moyens de transport n'est pas assurée et la violence et le vandalisme ciblent la flotte, cela augmente le désordre et la délinquance dans le voisinage des écoles et dans les quartiers. Les jets de pierres, la destruction des vitres et le sabotage des systèmes de commande électronique des portes du métro mettent hors service des véhicules et cela conduit à une augmentation des importations des pièces de rechange grevant davantage le budget des entreprises publiques et le déficit commercial * Lorsqu'on n'instaure pas la bonne gouvernance dans les entreprises publiques dès le début, la détérioration de leurs services fournis et de leurs équilibres financiers s'accentuent. Ce résultat augmente le déficit budgétaire et réduit l'investissement * Lorsqu'on abandonne les terres domaniales depuis plusieurs années, les dégâts et les actes de saccage et de pillage augmentent au fil du temps (domaines agricoles de Chaâl, d'Enfidha et autres). Ce résultat réduit l'offre des biens agricoles, augmente les prix et réduit le pouvoir d'achat des tunisiens. Depuis plusieurs décennies, les autorités n'ont pas réagi efficacement à ces désordres. Les enrichissements illicites et rapides deviennent un signal de détournement de revenu, ont encouragé la corruption et ont entrainé un manque à gagner pour le budget de l'Etat. Aujourd'hui, le défi le plus important que doivent relever les autorités tunisiennes est d'appliquer la théorie de la vitre cassée. Il est important de combattre le sentiment d'impunité pour réduire le désordre dans toutes les entreprises publiques, toutes les terres domaniales et tous les biens publics.