Qui seront les prochains à être arrêtés ? La règle du pouvoir est simple : tout élément nuisible doit être neutralisé, mis hors d'état de nuire. La scène nationale est devenue le théâtre d'une chorégraphie bien huilée où les danseurs se succèdent, chacun avec son propre rythme, mais un point commun : tous sont perçus comme nuisibles. Le pouvoir, toujours aussi organisé et stratège, a trouvé son tempo : éliminer ceux qui pourraient menacer son contrôle et mettre hors-jeu ceux qui osent le défier. La réponse à chaque « problème » est identique et redoutablement efficace : l'emprisonnement. Peu importe la catégorie sociale, politique ou professionnelle, chaque « élément nuisible » doit être neutralisé. Chaque période a son problème, et à chaque problème, une série d'incarcérations comme solution. Opposants politiques, journalistes, hommes d'affaires, activistes de la société civile, influenceurs, présumés-corrompus… qui sera le prochain sur la liste ?
Les premiers à entrer dans cette danse répressive furent les opposants politiques. Les leaders du parti Ennahdha, déjà détestés par une partie de la population, ont été les premières cibles. Noureddine Bhiri, Rached Ghannouchi et Abdelhamid Jelassi restent toujours derrière les barreaux, loin des projecteurs. Par la suite, plusieurs figures de l'opposition ont été ajoutées à la liste des emprisonnables. Issam Chebbi, Jaouhar Ben Mbarek, Khayam Turki, Lazhar Akremi et bien d'autres ont rejoint la longue file des prisonniers politiques, accusés de complot contre la sûreté de l'Etat – un dossier vide qui a suffi à justifier leur incarcération. Mais le bal ne s'arrête pas là. Les journalistes et chroniqueurs d'opinion ont également été invités à rejoindre cette danse forcée. Accusés sous le décret 54, permettant l'arrestation de toute personne exprimant des opinions dissidentes, ils ont été emprisonnés pour avoir relayé des informations, commenté des faits ou exprimé des opinions. Mourad Zeghidi, Borhen Bsaies, Sonia Dahmani, et Chada Haj Mabrouk sont désormais des symboles de cette répression, leur liberté de parole réduite au silence. Leur incarcération est un triste reflet de la dérive autoritaire qui frappe la Tunisie. Après les journalistes, ce fut le tour des activistes de la société civile. Après avoir diabolisé les opposants politiques et les journalistes, la société civile a, elle aussi, été accusée de tous les maux. Les organisations ont été accusées de financement illégal et de complot. Ceux qui ont porté secours aux migrants ont été emprisonnés, et d'autres ont vu leurs avoirs gelés. Les hommes d'affaires accusés de blanchiment d'argent et d'enrichissement illégal, les présumés contrebandiers et corrompus ont continué de faire partie de la danse. Depuis le début des vagues d'arrestations, l'argent est un secteur régulièrement visé par le régime. À chaque déclaration présidentielle, chaque discours retentissant, chaque menace, de nouvelles arrestations suivaient. Les influenceurs, notamment ceux de TikTok et Instagram, ont eux aussi rejoint cette sinistre valse. Accusés de vulgarité ou de « perversion » de la société tunisienne, certains créateurs de contenu ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Une vague d'arrestations parmi les jeunes, principalement sur les réseaux sociaux, a suivi.
La logique est claire : faire taire les voix discordantes pour garantir un contrôle absolu. Chaque nouvelle « menace » est neutralisée dans l'urgence. C'est une manière de détourner l'attention des problèmes plus graves et non résolus, qui continuent de ronger le pays. La question qui se pose désormais est : qui sera le prochain sur la liste ? La scène reste ouverte, et le bal semble ne jamais vouloir s'arrêter. Chaque tour, chaque danse, ajoute de nouvelles victimes à la longue liste de ceux qui ont osé déranger. Le régime, toujours plus implacable, ne semble pas près de freiner cette répression systématique. Les arrestations successives témoignent d'une volonté politique forte : éliminer toute forme de contestation. Le bal des emprisonnables ne s'arrêtera-t-il qu'avec la disparition totale de toute opposition ? La Tunisie, autrefois perçue comme un modèle démocratique, semble glisser dangereusement vers une dérive autoritaire, où l'emprisonnement devient la solution à chaque problème.