Une initiative législative proposée à l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) vise à instaurer un mécanisme de remboursement partiel des frais d'études universitaires pour les diplômés en médecine et en ingénierie qui choisissent de travailler à l'étranger. L'objectif est de réduire la fuite des cerveaux, de financer l'amélioration de l'enseignement supérieur et d'encourager les talents à rester ou à revenir en Tunisie. La députée Fatma Mseddi, qui soutient cette initiative, a déclaré : « Il y a eu beaucoup de débats autour d'une proposition visant à limiter la fuite des compétences que nous avons suggérée. Je tiens à clarifier qu'il s'agit d'un article proposé pour être ajouté à la Loi de finances de l'année 2025 », expliquant ainsi que cette initiative parlementaire, si elle est adoptée, sera incluse dans la Loi de finances 2025. Ce projet de loi vise à répondre au problème de la fuite des compétences en Tunisie, particulièrement parmi les médecins et les ingénieurs formés dans les universités publiques. Chaque année, un nombre important de diplômés choisissent de travailler à l'étranger dès la fin de leurs études, ce qui entraîne une double perte pour le pays : d'une part, la perte de ressources humaines qualifiées, indispensables au développement des secteurs clés tels que la santé et l'ingénierie ; d'autre part, des pertes financières pour l'Etat, qui finance largement ces formations sans en retirer les bénéfices. L'objectif principal de ce projet de loi est d'instaurer un mécanisme permettant à l'Etat de récupérer une partie des coûts de formation des diplômés travaillant à l'étranger peu après l'obtention de leur diplôme. Ces diplômés seraient tenus de rembourser 50 % des frais de leurs études, sauf s'ils reviennent travailler en Tunisie dans un délai de cinq ans. Les sommes récupérées seraient réinvesties dans le développement des infrastructures et l'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur. Parallèlement, des mesures incitatives sont proposées pour encourager les diplômés à rester ou à revenir en Tunisie, favorisant ainsi un équilibre entre leurs aspirations personnelles et les besoins du pays.
Cette initiative législative a relancé un débat socio-économique complexe. L'ancien ministre Faouzi Ben Abderrahman a réagi à ce projet de loi dans un post sur Facebook, déclarant : « Les députés du Parlement de Kaïs Saïed, qui souhaitent empêcher la fuite des jeunes compétences en imposant des taxes et des amendes exorbitantes sans fondement, ne font que renforcer une mentalité autoritaire profondément enracinée dans notre société ». Faisant écho à la question de la légitimité soulevée par M. Ben Abderrahman, l'article 44 de la Constitution stipule : « L'Etat garantit le droit à l'enseignement public gratuit à tous ses niveaux. Il veille à fournir les ressources nécessaires au service d'une éducation, d'un enseignement et d'une formation de qualité ». Cette disposition soulève donc la question de la constitutionnalité du projet de loi. L'ancien ministre a poursuivi : « Ces députés auraient dû s'interroger sur les opportunités de réussite que l'Etat offre à ces jeunes et sur sa capacité à répondre à leurs aspirations. Ils auraient dû prendre connaissance de l'abondance d'études disponibles sur le sujet ». La fuite des cerveaux n'est pas un problème propre à la Tunisie. Toutefois, les réponses à ce phénomène varient considérablement d'un pays à un autre. Par exemple, l'Inde, confrontée à une émigration massive de ses professionnels qualifiés, a mis en place des programmes d'incitation pour ses expatriés, leur offrant des avantages fiscaux, des opportunités professionnelles et des facilités administratives. Des initiatives comme le Know India Programme visent à établir un lien entre la diaspora et le pays d'origine, encourageant les talents à revenir. De leur côté, des pays comme le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande adoptent des politiques similaires, attirant les diplômés étrangers et les encourageant à travailler dans des secteurs stratégiques en échange d'avantages fiscaux ou de facilités pour obtenir la citoyenneté. Ces approches, axées sur l'incitation plutôt que sur la contrainte, offrent des conditions favorables pour convaincre les expatriés qu'ils ont davantage à gagner en revenant qu'en restant à l'étranger. En revanche, la Tunisie semble privilégier une approche punitive en imposant des frais aux diplômés qui partent. Une telle approche ne tient pas compte des raisons profondes de l'immigration, souvent liées à des conditions de travail inadéquates, des perspectives de carrière limitées et un manque d'infrastructures dans des secteurs clés tels que la santé et l'ingénierie. Au lieu de contraindre ces talents à revenir, il serait préférable de leur offrir un environnement professionnel propice à leur épanouissement.
Dans ce cadre, Faouzi Ben Abderrahman a déclaré : « Nous avons déjà observé ce phénomène parmi les universitaires : lorsqu'ils élisent un président pour leur institution, certains se transforment en figures autoritaires. Est-ce le résultat d'un système éducatif défaillant ou les vestiges de siècles de décadence ? L'acceptation populaire de l'autoritarisme, nourrie par un sentiment d'échec et de marginalisation sociale, est tout aussi préoccupante ». Enfin, le projet de Loi de finances actuellement en débat en Tunisie, qui prévoit une augmentation des impôts, accentue les difficultés économiques des classes moyennes, notamment des professeurs universitaires, ingénieurs et médecins du secteur public. Déjà confrontés à une forte pression fiscale, ces professionnels voient leur situation se dégrader davantage. Le professeur Aram Belhadj a souligné le 19 octobre 2024 que le projet de la Loi de finances 2025 entraînerait une hausse significative de cette pression. Mustapha Mezghani, expert en stratégies TIC et développement, a également affirmé que cette classe sociale peine à faire face à ses responsabilités financières malgré une augmentation limitée des salaires.
Si l'intention de cette initiative législative peut paraitre louable, son approche punitive et sa focalisation sur la contrainte plutôt que sur l'incitation risquent de produire l'effet inverse de celui recherché. En négligeant les causes structurelles profondes de l'immigration, comme le manque de perspectives professionnelles et les conditions de travail insuffisantes, le projet pourrait décourager davantage les talents et aggraver la fuite des cerveaux. Une stratégie plus équilibrée, combinant incitations et réformes structurelles, serait sans doute mieux adaptée pour répondre à ce défi complexe tout en respectant les aspirations légitimes des jeunes diplômés tunisiens.