Un dicton bien de chez nous dit : « Guetlek, guetlek » — autrement dit, « Je t'aurai, je finirai par t'avoir ». Jamais proverbe n'aura été aussi juste. Hassen, 26 ans, ingénieur en informatique, a décroché un stage en France. Sans hésiter, il fait ses valises sans demander son reste. Ses parents puisent dans leurs maigres économies pour lui payer un loyer dans un studio en colocation à Paris. Lui, il vit chichement, comptant chaque centime, dans l'espoir de décrocher un CDI. Grâce à son acharnement et son ambition sans limites, il gravit rapidement les échelons. En quelques années, il devient non seulement un ingénieur accompli, mais également un manager respecté. Une réussite qu'il n'aurait jamais pu envisager en restant dans sa petite ville natale. Et pourtant, dans son propre pays, Hassen est jugé sévèrement : un déserteur, un ingrat. On lui reproche d'avoir bénéficié d'un enseignement gratuit financé par le contribuable pour, au final, offrir son savoir-faire à l'étranger. Mais Hassen a mérité son succès. Chaque étape de son parcours, il l'a gagnée à la sueur de son front. C'est le cas aussi de nombreux autres étudiants. De ces ingénieurs à qui on propose des miettes dans leur propre pays où à ces étudiants en médecine qui ont dû faire le chemin de la croix pour enfin obtenir leur fameux sésame.
Aujourd'hui, l'Etat envisage de faire rembourser aux jeunes diplômés en ingénierie ou en médecine une partie des frais de leur formation s'ils choisissent de partir travailler ailleurs. Une punition pour avoir soi-disant trahi ce pays qui leur aurait tant donné. Mais de quoi parle-t-on ? Cet Etat qui n'a pas su offrir à ses jeunes des infrastructures dignes, des transports fiables, des campus bien équipés, des restaurants universitaires proposant des repas sains, ose leur réclamer des comptes. Il attend qu'ils aient surmonté toutes les épreuves et réalisé leurs rêves pour venir leur arracher leur réussite des mains. Encore une fois, c'est la réussite qu'on sanctionne. Ce sont toujours ceux qui s'en sortent qu'on accable. Si ces diplômés qui partent à l'étranger sont accusés d'avoir gaspillé les ressources publiques, qu'en est-il des autres ? Ceux qui quittent l'école prématurément, qui échouent ou redoublent ? Les chômeurs qui ne mettent jamais à profit ce qu'ils ont appris ? Ces situations ne coûtent-elles pas davantage au pays ? Pourquoi alors ne pas réclamer des remboursements à ceux qui ont abandonné leurs études ou décidé de ne pas travailler ? Pourquoi stigmatiser celui qui a réussi ? Qu'en est-il de tous ceux dont les parents ont les moyens de leur payer des études dans le privé. Faut-il doublement taxer ces familles modestes aux revenus modestes qui se sont accrochées à l'école publique malgré ses très nombreuses défaillances ?
C'est comme si des parents demandaient à leurs enfants de rembourser tout ce qu'ils ont dépensé pour eux parce qu'ils choisissent de quitter un foyer toxique pour voler de leurs propres ailes. C'est comme un conjoint abusif réclamant une pension à celui qui veut divorcer et reconstruire sa vie. Du chantage affectif pur et simple. Un pays qui rend la vie difficile à ses citoyens ne peut espérer les retenir par la force. Il ne peut les punir davantage en exigeant un remboursement sous prétexte d'un mauvais retour sur investissement. Il aura beau essayer de les surtaxer, de les menacer et de leur faire peur, il ne fera que les éloigner davantage.
La Constitution tunisienne garantit la gratuité de l'enseignement pour tous. Cette loi envisagée, en plus d'être injuste, est profondément inconstitutionnelle. Mais quel sera son effet réel ? Elle ne fera qu'encourager davantage ceux qui hésitent encore à partir. Ironie du sort, au lieu de retenir ses talents, l'Etat pourrait bien les pousser à partir pour de bon.