Un nouveau procès vient s'ajouter à la longue série de poursuites visant Ridha Charfeddine. L'ancien député et homme d'affaires du Sahel fait face à des accusations de plus en plus lourdes — complot, blanchiment, évasion fiscale — dans un engrenage où chaque perspective de libération est étouffée par une nouvelle affaire. Plus qu'un homme, c'est une cible que la justice s'acharne à poursuivre, encore et encore. Encore une affaire. Encore un report. Hier, la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière au tribunal de Tunis a repoussé à novembre l'examen d'un nouveau procès visant Ridha Charfeddine, son frère et d'autres prévenus. Les accusations sont lourdes : blanchiment d'argent, manquements fiscaux et violations bancaires. La défense a obtenu ce renvoi pour lui permettre de désigner un nouvel avocat. Détail révélateur : l'homme change désormais de conseil. Est-ce une rupture de confiance, une stratégie de survie, ou simplement l'effet d'un engrenage judiciaire devenu intenable ? Cette nouvelle affaire s'ajoute à une liste déjà interminable. Charfeddine n'est plus un homme poursuivi : il est un homme poursuivi sans répit.
Un notable du Sahel devenu paria Né à Sousse en 1952, pharmacien de formation, Ridha Charfeddine fonde en 1989 les laboratoires Unimed. La société deviendra l'un des fleurons de l'industrie pharmaceutique tunisienne, cotée en bourse depuis 2016. En 2015, il cofonde la chaîne Attessia, tandis que son aura s'étend bien au-delà du secteur économique. Car l'homme ne se limite pas aux affaires. En 2014, il est élu député sous les couleurs de Nidaa Tounes. En 2019, il revient au Parlement avec Qalb Tounes. Dans le même temps, il incarne le renouveau sportif de l'Etoile sportive du Sahel, qu'il préside durant les années 2010. Sa trajectoire est celle d'un homme d'influence, à la croisée des mondes politique, économique et sportif. Mais son destin bascule le 8 octobre 2015 : une tentative d'assassinat à l'arme automatique le vise à Sousse. L'attentat échoue. Le choc, lui, demeure. Le nom de Charfeddine est désormais associé à la violence, à la menace et à la fragilité d'un pouvoir régional qui dérange. En novembre 2021, il claque la porte. Il démissionne de la vie publique, invoquant des raisons personnelles et familiales. Plus de politique, plus de sport, plus de partis. Un retrait brutal qui sonne comme une volonté de tourner la page. Mais la page ne s'est jamais tournée.
L'engrenage judiciaire À partir de novembre 2023, son nom revient avec fracas. Le 10, il est placé en garde à vue dans l'affaire du « complot contre la sûreté de l'Etat », ce vaste dossier qui regroupe une quarantaine de figures de l'opposition, journalistes, avocats et responsables politiques. Le juge antiterroriste le libère, mais sa sortie du tribunal se transforme en traquenard : une nouvelle interpellation, sur ordre du parquet, l'attend sur le trottoir. Le 24 novembre, il est à nouveau entendu. Libéré une seconde fois, il croit respirer. Mais à deux heures du matin, la machine se relance. Placé en garde à vue pour cinq jours renouvelables, il s'effondre, pris d'une crise de nerfs. L'affaire rouverte n'est autre qu'un vieux dossier classé sans suite en 2021. Le message est clair : aucune porte de sortie. Le 28 novembre, le pôle économique et financier récupère le dossier et l'étend en une série de procédures distinctes : blanchiment, infractions douanières, opérations suspectes, enrichissement illicite, marchés publics. Le 4 décembre, deux premiers mandats de dépôt tombent. Un troisième suit le 2 janvier 2024. Trois clés pour la même serrure : empêcher toute remise en liberté.
L'avalanche des peines de prison Le 18 avril 2025, la sentence tombe : seize ans de prison ferme pour complot contre l'Etat. Un procès de masse, mené dans des conditions surréalistes. Aucune preuve tangible. Un accusé absent aux deux premières audiences, faute même d'avoir été convoqué. Des dizaines de figures, de l'avocat au chef de parti, jugées en bloc, dans un climat d'intimidation généralisée et où la majorité des prévenus n'ont même pas été interrogés par le juge. M. Charfeddine, qui s'était retiré de la vie publique en 2021, n'apparaît dans aucun enregistrement, aucun acte préparatoire. Rien. Mais son nom figure dans le jugement, comme celui d'un coupable idéal. On ne sanctionne pas des faits, on sanctionne un profil : celui d'un notable du Sahel qui a incarné trop longtemps un contre-pouvoir régional. À cette condamnation tentaculaire s'ajoute une autre : trois ans de prison pour avoir ouvert des comptes bancaires à l'étranger sans autorisation de la Banque centrale. Avec, cerise sur le gâteau, une amende record de 72 millions de dinars, l'une des plus lourdes jamais infligées dans un dossier de blanchiment et d'évasion fiscale en Tunisie. Dans un autre volet, la justice réclame le remboursement de 3,5 millions d'euros, environ douze millions de dinars, en transferts jugés illégaux. Le dossier mêle sanctions douanières, amendes et peines de prison. Peu importe que certains montants aient déjà fait l'objet d'arrangements ou de négociations. La mécanique est la même : un flux constant de charges qui s'empilent, sans jamais s'éteindre.
Unimed prospère, malgré la tempête Ironie de l'histoire : alors que son fondateur s'enfonce dans l'acharnement judiciaire, Unimed affiche des résultats éclatants. Les états financiers consolidés de 2024, révèlent un chiffre d'affaires de 147,8 millions de dinars, en hausse de 8,6 % par rapport à 2023. Plus spectaculaire encore, le bénéfice net a été multiplié par plus de trois, atteignant 19,37 millions de dinars contre 5,54 un an plus tôt. La trésorerie, elle aussi, se redresse : 17,1 millions de dinars positifs en 2024, contre un déficit l'année précédente. Un modèle industriel solide, des charges maîtrisées, un résultat d'exploitation en progression de près de 16 %… Autant de signaux qui confirment la robustesse d'une entreprise devenue l'un des fleurons pharmaceutiques du pays. Injectables, ophtalmiques, collyres : la spécialisation d'Unimed lui garantit une place de choix sur les marchés africains, européens et du Golfe. Les commissaires aux comptes ont émis une opinion avec réserve, pointant un contrôle fiscal en cours sur les exercices 2020-2023. Mais rien qui remette en cause la sincérité des comptes ni la dynamique d'ensemble. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'entreprise avance, imperturbable, alors même que son fondateur enchaîne les procès. Et c'est là toute la contradiction : si les accusations de malversations financières étaient aussi fondées qu'on le dit, comment expliquer que la société non seulement tienne debout, mais prospère ? Unimed incarne une continuité managériale rare en Tunisie, preuve qu'on peut isoler l'industrie de la tourmente politique et judiciaire. Une exception qui interroge : la justice s'acharne sur l'homme, mais les faits ne condamnent pas son œuvre.
La persécution en guise de justice Aujourd'hui, Ridha Charfeddine n'est plus seulement un homme d'affaires, un ex-député ou un dirigeant sportif. Il est devenu l'exemple même d'une justice instrumentalisée, où chaque issue est verrouillée par un nouveau dossier, chaque respiration étouffée par une nouvelle accusation. De quoi est-il accusé, au juste ? De tout, et de rien. De ce qu'il faut pour qu'il ne sorte jamais. Derrière les charges, souvent floues, se profile une mécanique de persécution. Et cette mécanique en dit plus sur l'état de la Tunisie que sur la culpabilité réelle de l'accusé.