L'attente de la communauté des économistes, et particulièrement des démographes, mais aussi de toute personne évoluant dans les domaines des sciences économiques, sociales et humaines, est de plus en plus fébrile. Normalement, selon l'agenda de l'Institut national de la statistique (INS), maître d'œuvre du projet, les premiers résultats du Recensement général de la population et de l'habitat 2024 (RGPH 2024) devraient être annoncés à la fin de ce mois de mars 2025. Une conférence de presse de présentation des résultats préliminaires du recensement, à savoir des indicateurs démographiques globaux, était même prévue ce mercredi 26 mars 2025. Elle aurait été annulée sine die. Pourquoi ? Les voies du Seigneur sont impénétrables. Un recensement crucial, mais des résultats incertains Le RGPH, qui est mené tous les dix ans, est d'une importance considérable, car il fournit la photographie la plus proche possible de la réalité de la situation socioéconomique du pays. C'est l'outil fondamental pour l'élaboration de toute stratégie de développement, ainsi que des politiques et des programmes qui en découlent. Il constitue le référent incontournable de toute démarche prospective. C'est à partir de cet outil que sont dégagés les échantillons de population servant aux enquêtes et sondages. Bref, le RGPH est une enquête sur toute la population du pays, un état des lieux de chacun d'entre nous. Selon des bruits de couloirs à l'INS, le RGPH cuvée 2024 ne manquera pas de surprises. Va-t-il confirmer, infirmer ou nuancer certaines tendances observées concernant les caractéristiques démographiques, éducatives, économiques, les conditions de vie et d'habitat, la mobilité et la migration… Démographie : un vieillissement accéléré et des dynamiques migratoires en question Le taux d'accroissement naturel de la population tunisienne a dégringolé depuis 2014. À cette date, il était de 1,2 %. Il n'est plus que de 0,7 % en 2023. Le vieillissement de la population serait-il inéluctable ? Saisi par le prisme des naissances, le processus semble inévitable. En 2014, on dénombrait environ 226 000 naissances. En 2022, on atteignait à peine 148 000. L'indice synthétique de fécondité a vertigineusement chuté sur la même période, passant de 2,5 à 1,7. Presque un Tunisien sur dix a plus de 60 ans. C'est le taux de vieillissement le plus fort en Afrique et dans la zone MENA. Le phénomène migratoire aurait-il accentué ou freiné cette évolution ? La question demeure encore sans réponse. On recensait une migration nette négative de plus de 25 000 personnes en 2014. Elle ne serait négative qu'à hauteur de 14 000 personnes en 2023. Y aurait-il plus d'apports étrangers ou un recul du nombre de départs de Tunisiens vers l'étranger ? Tout cela, c'est le RGPH 2024 qui le fournira. Et bien d'autres données encore. En attendant, les perspectives socioéconomiques du pays ne sont franchement pas porteuses d'optimisme. Une économie sous tension et des finances publiques fragilisées La nouvelle réglementation sur l'émission des chèques donne déjà ses effets : une chute des émissions qui suggère implicitement un recul conséquent de l'activité économique. Le projet de loi de réforme de l'emploi visant à abroger la réglementation de l'emploi temporaire, qu'il soit de sous-traitance ou en contrat à durée déterminée (CDD), va probablement booster le taux de chômage ou, à défaut, mettre sur la paille plusieurs entreprises, notamment des PME. Quant aux finances publiques, les dérives ne cessent de s'amplifier, auxquelles semble répondre davantage une fuite en avant qu'une volonté de maîtrise. Le déficit des paiements extérieurs a repris de plus belle, alors que du côté du budget de l'Etat, les besoins de financement sont de plus en plus difficiles à satisfaire. Et quand bien même ils le seraient, cela ne ferait qu'attiser les tensions inflationnistes par une création monétaire à tout va. À cet égard, l'évolution de la masse monétaire depuis le début de l'année en constitue un exemple édifiant. Au cours des dernières années, les billets et monnaies en circulation – le fameux cash – augmentaient, bon an mal an, d'environ 1,7 milliard de dinars chaque année. Cette augmentation du cash a déjà été atteinte durant les seuls deux premiers mois de l'année 2024. Beaucoup suggéreront que cette envolée des liquidités renvoie à la nouvelle législation sur les chèques. Certes, mais pas seulement. Elle renvoie aussi à une monétisation de la dette intérieure de l'Etat, à la faveur d'une politique monétaire accommodante de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui tente de maintenir le volume global de refinancement autour de 15,5 milliards de dinars pour financer les besoins de l'Etat, sans compter le crédit de 14 milliards de dinars accordé au gouvernement entre 2024 et cette année. L'Etat emprunte une fois pour honorer une échéance de dette, une fois pour servir les salaires des fonctionnaires et une autre fois pour acquitter une partie des sommes dues aux subventions. On en oublierait presque ses arriérés de paiement. À ce propos, la Banque du Canada et la Banque d'Angleterre, qui publient annuellement un rapport sur les pays en défaut de paiement, y ont épinglé la Tunisie, considérant que les arriérés budgétaires représentent un défaut de paiement. En 2023, elles estimaient les arriérés budgétaires de la Tunisie à quelque 2,3 milliards de dollars. Tout cela donne à réfléchir sur le projet de loi d'amendement des statuts de la BCT, qui signifie en fait la mise à mort de sa politique monétaire sans aucune autre alternative, rendant puéril tout débat sur le taux directeur de la BCT.