Dans le petit village de Bir El Euch, perché sur une colline au nord-ouest du pays, les rires étouffés d'enfants résonnent dans une salle pleine de couleurs et de livres. Ce n'est pas une bibliothèque ordinaire. C'est un refuge, un tremplin, un monde ouvert aux rêves. Une scène que le média américain The Christian Science Monitor raconte aujourd'hui, 10 juin 2025, dans un reportage consacré à Omar Weslati, juge tunisien et fondateur du projet « Planter des bibliothèques ». À neuf ans, Israa Trabelsi dévore les histoires de pays lointains, assise dans un fauteuil moelleux. Elle sourit timidement : « j'ai appris beaucoup ici. Mon vocabulaire et mon écriture s'améliorent. Je veux devenir juge. » Un rêve qui trouve son écho dans l'histoire de celui qui a fait naître cet espace : Omar Weslati, juge de profession, enfant de la campagne, et passionné de livres. Il a grandi sans bibliothèque, sans électricité, sans transport. Aujourd'hui, il dirige Ziraât al-Maktabat – Planter des bibliothèques, un projet lancé en 2016 pour réconcilier l'enfant qu'il était avec l'homme qu'il est devenu. À travers ce long reportage, The Christian Science Monitor rend hommage à son parcours inspirant et met en lumière une initiative unique en Tunisie : celle de planter des bibliothèques là où les livres n'ont jamais pris racine. Contre l'exclusion et l'extrémisme, un remède par la lecture Alors que la Tunisie fait toujours face à de profondes inégalités régionales et à une crise économique durable, le travail de terrain comme celui du juge Weslati apparaît comme une réponse concrète au désengagement de l'Etat. Dans certaines zones rurales, le taux de chômage dépasse les 26%, contre une moyenne nationale de 15%. Dans ce contexte, les bibliothèques deviennent bien plus que des lieux de lecture : elles sont un rempart contre l'extrémisme, un levier d'émancipation. « Là où le livre n'arrive pas, l'extrémiste arrive en premier », rappelle le magistrat. Chaque année, avec d'autres professionnels issus de milieux ruraux – journalistes, enseignants, écrivains – il finance la création d'une nouvelle bibliothèque. Le collectif refuse l'idée d'une œuvre de charité : « Ce n'est pas de l'assistanat. C'est de la culture qu'on sème. » Des histoires qui prennent racine Au fil des années, ces bibliothèques ont évolué en véritables lieux de création. Des clubs d'écriture sont nés. Des adolescents y publient des recueils collectifs. Molka Hammami, une jeune fille du village, témoigne : « la lecture a changé ma vie. Elle m'a poussée à faire plus. » Aujourd'hui, elle anime une émission de radio pour le club. L'ancienne enseignante de Molka, Jamila Sherif, devenue inspectrice scolaire, souligne l'impact à long terme : « beaucoup d'enfants abandonnent l'école après le primaire. Ils n'ont pas les outils de base. Nous essayons de changer cela, un livre après l'autre. » Des bibliothèques sans murs D'autres initiatives émergent, comme Safahat (Pages), une organisation qui a installé des bibliothèques mobiles dans des lieux publics : hôpitaux, centres de jeunes, rues. À travers le projet Maktabtena (Notre bibliothèque), des boîtes rouges et blanches remplies de livres invitent chacun à lire librement, à donner, à partager. « Nous voulons faire de la lecture une habitude, pas un luxe », explique Khawla Mondhri, professeure d'université et bénévole. « Si quelqu'un prend un livre et ne le rend pas, ce n'est pas grave. Cela veut dire qu'il est lu ailleurs. Et c'est déjà beaucoup. » Au-delà de la simple mise à disposition de livres, le projet d'Omar Weslati a ouvert la voie à une véritable dynamique d'éducation et d'émancipation. Dans ces écoles rurales, des clubs d'écriture se créent, où les adolescents apprennent à raconter leurs propres histoires, donnant voix à leurs rêves et à leurs réalités. Des enseignants engagés, comme Jamila Sherif, se battent pour que ces jeunes ne quittent pas l'école prématurément, malgré les obstacles liés à la pauvreté et à l'isolement. Ce combat pour offrir des espaces d'apprentissage chaleureux et accessibles, porté par des acteurs locaux, est une lueur d'espoir dans une Tunisie encore marquée par les inégalités et les défis sociaux. Comme le souligne une experte tunisienne, chaque enfant gardé dans le système scolaire est une victoire, chaque livre offert un pas vers un avenir plus juste.