C'est durant les années 2000 que l'idée d'une Banque postale a émergé en Tunisie. Et chaque fois que le sujet resurgit, il est rapidement renvoyé aux calendes grecques. En d'autres lieux, l'expérience fut tentée et affiche aujourd'hui une réussite remarquable. Al Barid Bank au Maroc, par exemple, créée en 2010 par le biais d'une filialisation au sein du Groupe Barid Al-Maghrib. L'idée s'imposait d'elle-même dès lors que la part de services financiers de La Poste est devenue prépondérante dans le chiffre d'affaires de l'établissement. En 2010 déjà, la répartition des revenus par activité était de 37% de services postaux et de 63% de services financiers. Aujourd'hui, l'écart de chiffre d'affaires des deux principales activités de La Poste tunisienne s'est davantage élargi : la part de chacune d'elles est passée respectivement à 16,5% et 83,5% en 2022. En monnaie sonnante et trébuchante, cela représente 515 MD de services financiers. Certes, on est loin des performances des banques publiques dont les chiffres d'affaires respectifs dépassent le milliard de dinars (1,8 milliard pour la BNA ; 1,3 milliard pour la STB et 1,2 milliard pour BH Bank). Cependant, en termes de résultats nets, La Poste tient la dragée haute aux banques publiques et dépasse même certaines banques privées tunisiennes.
Des résultats comptables remarquables Après avoir affiché un déficit cumulé d'environ 120 MD en 2018, voilà que l'Office dégage un résultat net de plus de 120 MD toutes activités confondues en 2022, laissant penser que, compte tenu du chiffre d'affaires des prestations de services financiers, le bénéfice tiré de ces dernières dépasserait aisément les 100 MD. Durant la même année 2022, le résultat net de la STB a dépassé à peine 80 MD, celui de la BH Bank près de 120 MD, celui de la BNA environ 160 MD. Le résultat net qu'affiche La Poste en 2023 dépasse les 200 MD, surpassant les résultats nets des trois banques publiques. Visiblement, La Poste a tout d'une banque. De plus, elle a une assise financière et logistique très solide.
Un mastodonte financier Financièrement, le total de ses actifs représente 13,3 milliards de dinars en 2022. Sensiblement pas très loin des banques publiques (14,7 milliards pour la STB ; 19,3 milliards pour la BNA et 13,6 milliards pour la BH Bank) et dépassant parfois de loin le total des actifs de certaines banques privées. Le total de l'épargne des banques cotées à la Bourse de Tunis atteint 34,3 milliards de dinars, celui de La Poste affiche à lui seul 10,5 milliards de dinars en 2022. Et pourtant, il manque à La Poste ce qui fait la fortune des banques : l'activité de distribution de crédits. En 2022, l'encours de crédit à la clientèle des banques publiques variait pour chacune d'elles entre 10,5 et 13,8 milliards de dinars. Elles en ont tiré une marge d'intermédiation variant entre 350 MD et 450 MD. Malheureusement, l'encours de crédit à la clientèle est une rubrique qui n'existe pas dans les comptes de La Poste. Et donc pas de marge d'intermédiation.
Logistiquement, à travers son réseau. En 2022, La Poste tunisienne recensait plus de 1¢000 points de contact dont plus de 1100 agences et bureaux, contre 5800 agences pour tout le secteur bancaire. La même année, elle recensait en son sein 2,7 millions de détenteurs de cartes de paiement sur un total de 6,5 millions de cartes de paiement inventoriées par la Banque centrale de Tunisie (BCT). De plus, un distributeur automatique de billets sur cinq est estampillé La Poste tunisienne. En outre, elle fut de toutes les innovations. C'est La Poste qui émit en août 2020 la première monnaie électronique, le e-Dinar. Une année plus tard, elle inaugurait son centre d'appel, le 1828. En 2002, elle lançait les cartes de paiement par Internet, le e-Dinarpost pour les titulaires de CCP (comptes courants postaux), puis le paiement des factures par Internet et plus généralement les activités de e-banking en 2004. En 2008, ce fut au tour de la carte à puce e-Dinar Smart de voir le jour, puis ce fut la création du service Mobi-Dinar.
Qui pourrait freiner le processus ? En définitive, le terrain est favorable à la création d'une Banque postale. En 2022 déjà, La Poste fixait parmi ses objectifs stratégiques le fait de devenir « le vecteur de l'inclusion financière et sociale en s'appuyant sur la technologie et les solutions numériques et en fournissant des services faciles d'accès et accessibles à tous. » Elle aspire aussi à devenir le partenaire économique privilégié des petites et moyennes entreprises et des acteurs du commerce électronique. Et également de « créer la Banque postale en complétant l'offre financière existante par l'offre de crédits. Cet axe entre dans le cadre de la stratégie nationale de l'Etat en matière d'inclusion financière dans la mesure où la Banque postale cible essentiellement les catégories sociales non incluses par le système bancaire en leur offrant des services financiers répondant à leurs besoins. » Alors, pourquoi cet atermoiement ? Il ne serait pas étonnant que les banques de la place ne se réjouissent pas de la création d'un tel établissement de crédit. Un mastodonte qui viendrait les concurrencer. Il en est de même des institutions de microcrédit qui verraient se réduire sensiblement leur part de marché sur ce créneau, d'autant que le taux d'intérêt sur le crédit que proposerait la Banque postale serait sans commune mesure avec celui qu'elles pratiquent. Autrement dit, c'est la sphère du crédit qui risque d'être totalement chamboulée, mais aussi à terme, celle de l'offre de produits financiers. Ce n'est pas seulement le secteur bancaire et financier en général qui serait touché par ce nouveau venu. L'Etat aussi ne semble pas voir d'un bon œil le projet d'une Banque postale qui le priverait d'une ressource inestimable qu'est l'épargne postale, dans laquelle il pourrait piocher – si ce n'est déjà fait – afin de satisfaire le cas échéant ses besoins urgents de financement budgétaire. Dans cette configuration, le projet de loi de création d'une Banque postale déposé par une vingtaine de députés de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) a-t-il une chance d'aboutir ?