Finalement, l'avocat et ancien magistrat Ahmed Souab sera traduit devant le tribunal de première instance de Tunis pour répondre à des accusations à caractère terroriste. Le tribunal de cassation en a décidé ainsi. Paradoxalement, cette décision, quoique excessive, n'a surpris personne. Durant les dernières semaines, la justice tunisienne semble durcir ses positions contre les détenus dans des affaires qui accaparent l'attention de l'opinion publique. Avant Ahmed Souab, l'autre avocate, Abir Moussi, présidente du parti destourien libre (PDL), sera elle aussi traduite devant le tribunal de première instance de Tunis pour répondre d'actes qualifiés par le tribunal de cassation à caractère terroriste. Pire encore, certaines accusations contre elle sont formulées en vertu d'un article du code pénal qui stipule la peine de mort. Rien que ça !
Un silence embarrassé du barreau Face à cette situation et sous la pression de ses affiliés, l'ordre des avocats a fini par publier un communiqué de circonstance, laconique et atemporel. Dans une déclaration, tout aussi laconique, le bâtonnier Hatem Mziou a estimé que certains veulent pousser le barreau à prendre des positions politiques. Comme si la défense des libertés publiques et privées, la défense de la liberté tout court, qui est l'âme, le devoir et la vocation du barreau, n'était pas un acte fondamentalement politique.
Un autre signe du durcissement de la position de la justice tunisienne vis-à-vis des détenus politiques ou d'opinion : les condamnations qui pleuvent sur l'avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani et la condamnation du journaliste Mohamed Boughalleb à deux ans de prison dans une nouvelle affaire en rapport avec le décret 54. Ce durcissement apparaît encore à travers l'acharnement contre les membres des familles des détenus qui sont poursuivis eux aussi avec des accusations graves : la sœur de Sonia Dahmani, le fils de Ghazi Chaouachi et, avant eux, la sœur de Jawher Ben Mbarek.
Une justice qui a perdu son âme Comment peut-on expliquer ce durcissement, voire cet acharnement judiciaire contre les prisonniers politiques et les prisonniers d'opinion, sinon que la justice tunisienne a perdu son âme depuis qu'elle a accepté de se faire délester de son statut de pouvoir et s'est résignée à être une simple fonction au service du seul pouvoir dans le pays, qui est le pouvoir exécutif ? Le caractère politique prononcé de ces dossiers, qui n'a pas échappé d'ailleurs aux observateurs tunisiens et étrangers et aux organisations humanitaires nationales et internationales, ne joue pas en faveur des autorités. Au contraire, il met les détenus en position de force face à leurs juges, même quand ils sont derrière les barreaux, même quand ils sont menottés, et quand bien même ils sont harcelés à l'intérieur même de leurs cellules ou trimballés d'un pénitencier à un autre. Le non-respect flagrant des procédures, aux dires de plusieurs comités de défense, l'absence évidente des conditions d'un procès équitable et les lourdes peines prononcées ont fini par servir la cause des détenus et discréditer le pouvoir en place. Ne dit-on pas que tout ce qui est excessif est insignifiant ?
En effet, ces lourdes peines ne sont pas prononcées objectivement pour être purgées, mais plutôt pour donner l'exemple, asseoir une autorité et faire peur à la masse. Au vu des mouvements sociaux dont le nombre augmente d'un mois à l'autre, et compte tenu du nombre grandissant des jeunes qui manifestent et de leurs slogans de plus en plus directs et radicaux, il semblerait que la stratégie du durcissement judiciaire n'a pas payé. Quant aux lourdes peines prononcées, elles ne résisteront pas aux aléas de la politique, et on peut parier que, pour une raison ou une autre, ces détenus ne purgeront pas la totalité de leurs peines.