Ils ont trois, au moins, à avoir complété un an d'incarcération ce weekend. Trois figures emblématiques des médias tunisiens maintenues en prison pour des accusations floues : Mourad Zeghidi, Sonia Dahmani et Borhen Bssais. De supposées opérations frauduleuses, jusqu'à la condamnation sur la base de statuts Facebook ou d'analyses livrées sur antenne en passant par de supposées fraudes fiscales, tout est bon pour faire taire les critiques du pouvoir. Un an après leur mise en détention, la mobilisation ne faiblit pas, même si tout le monde espère que cette mascarade prendra fin. Mourad Zeghidi Le 11 mai 2025 marque une année entière de détention pour Mourad Zeghidi, journaliste, chroniqueur et figure médiatique bien connue du paysage tunisien. Incarcéré depuis le 11 mai 2024, Zeghidi demeure aujourd'hui en prison dans des conditions dénoncées par ses avocats, ses collègues et de nombreuses organisations de défense des droits humains. Ce qui devait initialement être une peine d'un an pour "atteinte à l'ordre public" et "attribution de faits non réels à un fonctionnaire public" est devenu, au fil des mois, une affaire emblématique de la situation de la liberté d'expression en Tunisie. Condamné en première instance le 22 mai 2024, Mourad Zeghidi avait vu sa peine réduite à huit mois en appel, en juillet de la même année. Sa libération semblait alors imminente, attendue pour janvier 2025. Mais à la surprise générale, un nouveau mandat de dépôt a été émis à son encontre. Il s'est vu reprocher cette fois-ci des faits d'enrichissement illicite et de blanchiment d'argent, des accusations sans lien direct avec celles pour lesquelles il avait été initialement incarcéré. Ses avocats dénoncent des charges sans fondement concret, formulées à l'aide d'un article juridique vide de toute précision sur les actes incriminés. Mourad Zeghidi, de son côté, n'a cessé de clamer son innocence, affirmant n'avoir tenu à la radio que des propos relevant de la liberté d'opinion, et n'avoir rien à se reprocher sur le plan légal. Cette détention prolongée suscite une vague de solidarité de plus en plus marquée. Le comité de défense de Mourad Zeghidi, formé notamment de journalistes, d'avocats et de militants, a organisé une conférence de presse au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens, le 7 mai 2025, pour dénoncer cette situation. À cette occasion, plusieurs intervenants ont souligné le caractère arbitraire de sa détention et ont rappelé que le droit à la liberté d'expression est garanti par la Constitution tunisienne. Le président du SNJT, Zied Dabbar, a parlé d'un "dossier vide" et d'un "acharnement judiciaire", tandis que Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, a mis en garde contre une dérive autoritaire. Les autorités ont, de leur côté, empêché la tenue d'un événement prévu le 11 mai 2025, destiné à marquer symboliquement les 365 jours de détention de Zeghidi. L'interdiction de cette manifestation, jugée pacifique et citoyenne, a été perçue comme une nouvelle tentative de museler les voix dissidentes et de décourager toute mobilisation autour de son cas. Malgré cela, les appels à sa libération continuent, tant au niveau national qu'international, et son nom est désormais devenu un symbole de résistance contre la répression des journalistes. Mourad Zeghidi, dans une lettre relayée par ses soutiens, a affirmé qu'il continuerait à défendre ses convictions "jusqu'au bout", refusant toute compromission. Le titre donné par l'un des articles qui lui est consacré, "Mourad Zeghidi, fino alla fine", résume bien l'état d'esprit de l'homme : déterminé, digne, et convaincu de la justesse de son combat. Son cas cristallise aujourd'hui les inquiétudes croissantes sur la liberté d'informer en Tunisie, dans un climat où la critique et l'opinion indépendante semblent de plus en plus criminalisées.
Sonia Dahmani Le 11 mai 2025 marque une année depuis l'arrestation de Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse connue pour ses prises de position critiques. Elle avait été arrêtée en direct à la Maison de l'avocat, après avoir tenu des propos ironiques sur la situation en Tunisie lors d'une intervention médiatique. Sa condamnation, d'abord à deux ans de prison en vertu du décret-loi 54 sur la diffusion de fausses nouvelles, a été réduite à 18 mois en appel. Officiellement, on lui reproche d'avoir déclaré que "la Tunisie est un pays raciste", des propos tenus dans un contexte de débat national sur le traitement des migrants subsahariens. Depuis sa cellule, Sonia Dahmani continue de faire entendre sa voix, malgré la censure. Dans une déclaration relayée par son avocat, Me Sami Ben Ghazi, celui-ci écrit : « Maître Sonia Dahmani croupit dans les abîmes de la prison depuis plus d'un an, non pour une faute qu'elle aurait commise, ni pour un crime prouvé par la moindre preuve, mais simplement pour avoir exprimé une opinion, pour avoir fait entendre une parole ». Selon lui, Sonia Dahmani paie aujourd'hui le prix de sa liberté de ton : huit mois pour une expression jugée moqueuse, "Heyla Lebled", et aujourd'hui une peine rallongée pour avoir décrit une réalité sociale douloureuse. Me Ben Ghazi poursuit : « Elle a affirmé dans un moment de lucidité et de sincérité que le racisme en Tunisie n'est ni un fantasme, ni une allégation, mais une réalité enracinée, une tragédie quotidienne, que ses victimes respirent dans un silence douloureux ». Pour lui, ce n'est pas seulement une personne qui est visée, mais un symbole. « Sonia n'a pas été emprisonnée parce qu'elle est la seule à avoir élevé la voix, mais parce qu'on l'a choisie pour être le bouc émissaire sur l'autel de l'intimidation. Une intimidation visant une classe intellectuelle, culturelle et élitiste que le pouvoir veut faire taire ». Depuis son incarcération, plusieurs faits ont renforcé les craintes d'un procès politique : Sonia Dahmani a été interrogée pour un simple échange avec son avocat, une démarche qui soulève de sérieuses inquiétudes sur le respect de ses droits fondamentaux. Par ailleurs, la Cour refuse toujours de fixer une audience pour le pourvoi en cassation, prolongeant ainsi son incarcération dans une forme d'indifférence institutionnelle. « Et si le tribunal se tait, l'Histoire, elle, ne se taira pas », avertit Me Ben Ghazi. Soutenue par ses confrères, les syndicats d'avocats et de journalistes, mais aussi par des ONG et des citoyens ordinaires, Sonia Dahmani est devenue une figure de la liberté d'expression réduite au silence. Au-delà de son cas personnel, elle incarne une inquiétude plus large sur l'avenir des libertés en Tunisie. Dans un contexte de crispation politique, sa voix continue de résonner derrière les barreaux, comme celle d'une conscience qu'on ne parvient pas à étouffer.
Borhen Bssais Le 11 mai 2025 marque un an de détention pour Borhen Bssais, journaliste et chroniqueur politique, arrêté en mai 2024 dans une vague de répression contre les voix critiques du pouvoir. À l'origine, il a été condamné à un an de prison pour diffusion de fausses nouvelles en vertu du décret-loi 54, dans la même affaire que Mourad Zeghidi. En appel, sa peine a été réduite à huit mois. Toutefois, avant même la fin de cette peine, un nouveau mandat de dépôt a été prononcé contre lui dans le cadre d'une enquête distincte pour blanchiment d'argent et enrichissement illicite, ce qui a prolongé sa détention. Cette succession d'affaires, aux contours flous et aux délais judiciaires étirés, a soulevé de nombreuses critiques, tant de la part de la société civile que des observateurs internationaux. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a dénoncé un harcèlement judiciaire visant à faire taire une voix influente du paysage médiatique. Dans une tribune, Business News rappelait : « Mourad Zeghidi et Borhen Bssais arrivent à être présents dans la campagne électorale, alors qu'ils sont en prison. Ils arrivent à mettre leur empreinte, alors qu'ils sont derrière les barreaux de la Mornaguia ». Depuis la prison, Borhen Bssais continue de maintenir une forte présence symbolique. Son épouse, Saloua Ben Noomane Bssais, a publié le 11 mai 2025 un long message empreint d'émotion, à l'occasion du premier anniversaire de son incarcération. Dans ce témoignage poignant, elle écrit : « En général, je suis impatiente d'écrire un post après mes visites à la prison de Mornaguia. Mais aujourd'hui, c'est différent. J'hésite. Je prends mon téléphone, puis mille préoccupations me retiennent de taper quoi que ce soit ». Elle décrit une année de douleur, de visites éprouvantes, mais aussi de courage. « 365 jours avec leurs nuits, chaque moment, chaque panier de provisions, chaque visite, chaque désespoir, chaque larme... J'ai essayé de rester optimiste, debout, patiente. Dieu ne m'a pas laissée seule. Ma famille, mes amis, même les virtuels, étaient là ». Elle évoque également la force morale de Borhen Bssais : « Borhen ne m'a pas abandonnée, lui aussi. J'arrive avec le cœur en miettes, et c'est lui qui me remonte le moral. On rit ensemble de bon cœur. Ces moments sont comme des cadeaux venus du ciel ». Malgré les accusations, jamais étayées publiquement de manière précise, et une procédure qui s'éternise, le journaliste reste debout, tout comme son entourage. « Je ne peux pas ne pas être optimiste, dit-elle. J'ai confiance en la justice du ciel. Dieu qui me donne la force aujourd'hui ne nous abandonnera pas. Je suis certaine que la joie est proche, très proche... C'est une promesse divine ». Elle conclut sobrement : « Borhen, nous t'attendons ». Borhen Bssais est aujourd'hui l'un des visages d'une liberté d'expression assiégée, dans un contexte où la parole libre devient risquée, et où les procédures judiciaires se transforment en outils de dissuasion politique. Son cas, comme celui de Mourad Zeghidi et Sonia Dahmani, met en lumière une dynamique inquiétante dans la Tunisie contemporaine, où la critique publique peut conduire à l'enfermement.