Vendredi 18 juillet 2025, le président de la République a reçu son ministre de la Jeunesse et des Sports, Sadok Mourali, et lui a expliqué que les résultats dans les sports collectifs avaient régressé à cause de choix « non innocents ». Dans la foulée, Kaïs Saïed a dénoncé la dégradation des infrastructures sportives et une urbanisation qui aurait privé les enfants et les jeunes d'espaces pour pratiquer des activités physiques. « L'infrastructure de base a disparu, les résultats ont décliné, et seuls les réseaux de corruption se sont épanouis », a-t-il déclaré, avant d'ajouter : « Quant aux maisons de jeunes, qui étaient autrefois des lieux de culture, d'éducation et de sport, beaucoup sont aujourd'hui à l'abandon, quand elles ne se sont pas transformées en repaires de corruption et de consommation de drogues ». Comme à chaque fois, et surtout lorsqu'il s'agit de ces communiqués présidentiels nocturnes (celui-ci a été diffusé à 22h48), la lecture suscite agacement et lassitude. Sur la forme, d'abord : l'arabe utilisé est scolaire, figé et rébarbatif. Très rébarbatif. Sur le fond, ensuite : le président ressasse toujours le même discours, avec le même lexique, les mêmes ennemis désignés – escrocs, corrompus, spéculateurs, voleurs, traîtres… – et toujours la même tonalité de « guerre de libération ». Pire encore, le style même de ses interventions ressemble davantage à une conversation de café entre deux Tunisiens lambdas qu'à un discours présidentiel. Kaïs Saïed énumère des problèmes au lieu de proposer des solutions. Or, l'exposition des problèmes est le rôle de l'opposition, des médias et des citoyens, pas celui du président de la République. Le chef de l'Etat est censé répondre, orienter, rassurer, pas nous interroger ou nous décrire notre propre misère.
Un aveu implicite d'échec Depuis six ans, Kaïs Saïed tient exactement le même discours, et cela équivaut à admettre implicitement son impuissance. De deux choses l'une : soit Kaïs Saïed a échoué à neutraliser ces malfaisants malgré ses pouvoirs exceptionnels, soit ces derniers n'existent que dans sa tête et ne servent que de boucs émissaires pour justifier la situation.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est bien un aveu d'échec. Kaïs Saïed a confisqué tous les pouvoirs, mis la justice et les forces de sécurité à sa botte, et rempli les prisons de politiciens, d'avocats, de journalistes, de lobbyistes, d'hommes d'affaires et de militants des droits humains. Comment peut-il encore nous parler des mêmes ennemis ? S'il dit vrai, c'est qu'il est incapable de les vaincre ; s'il exagère, c'est qu'il les invente. Et lorsqu'il affirme que les maisons de jeunes seraient devenues des repaires de corruption et de consommation de drogue, on frôle l'absurde. Avez-vous lu le moindre article de presse, le moindre communiqué du parquet ou du ministère de l'Intérieur évoquant l'arrestation d'individus se livrant à des actes illicites dans une maison de jeunes ? Non, car cela relève plus de l'imaginaire que de la réalité.
Une « semaine de la jeunesse » déconnectée du réel Deux jours avant sa rencontre avec Sadok Mourali, le président avait reçu la cheffe du gouvernement pour parler, encore, des jeunes. La semaine dernière a été, dans la tête de Kaïs Saïed, la « semaine de la jeunesse ». Dans un communiqué diffusé à… 2h53 du matin, il a (re)livré pour la énième fois une belle déclaration : « C'est la jeunesse, avide de donner sans compter, qui est la plus à même d'assumer des responsabilités et la mieux placée pour contribuer à l'édification de tous les secteurs et répondre aux attentes du peuple. » Une phrase qui pourrait faire bondir de joie toute la jeunesse tunisienne… si elle était sincère. Car la réalité et l'actualité la contredisent cruellement. Tandis que le président feint de s'intéresser aux jeunes, aux maisons de jeunes et à leur place dans la fonction publique, la Tunisie réelle sombre.
Des maisons de jeunes figées dans un autre siècle Dans l'impossibilité d'être exhaustif, force est de constater que nos maisons de jeunes ne proposent rien de ce que les jeunes aiment aujourd'hui. Combien de maisons de jeunes ont un abonnement Netflix, Disney+ ou Prime Video ? Aucune. Combien de maisons de jeunes proposent des clubs de cinéma, de théâtre ou de danse ? On n'en sait rien. Combien de maisons de jeunes expliquent ce qu'est l'intelligence artificielle et comment l'utiliser à bon escient ? Aucune. Combien de maisons de jeunes ont un site web ou une page Facebook pour attirer le public à leurs activités ? On n'en croise pas vraiment. Combien de maisons de jeunes programment des conférences pour prémunir nos jeunes des dérives de l'internet, des réseaux sociaux et des fake news ? Nada ! Les maisons de jeunes, tout comme le ministère, sont dirigés par des personnes qui ne sont plus de toute jeunesse. Ceci est un fait. Ils sont déconnectés de la jeunesse d'aujourd'hui, de ses habitudes et de ses hobbies. Le président de la République a beau dire et répéter qu'il veut faire intégrer des jeunes dans la fonction publique, car « ils sont plus à même d'assumer les responsabilités », force est de constater qu'il a nommé un quinqua aux cheveux tous gris pour le poste de ministre de la Jeunesse. Qu'il commence tout d'abord par nommer un trentenaire à ce poste et on pourrait éventuellement commencer à le croire. Ce n'est ni une question de lobbys, ni de corrompus, ni de « choix non innocents », c'est une stratégie de l'Etat que Kaïs Saïed dirige depuis six ans. S'il y a des choix non innocents comme il dit, ce sont bien les siens.
Une jeunesse privée de ses rêves Voilà pour la réalité du terrain. Quant à l'actualité (des jeunes), elle est encore plus noire. Je me limiterai à celle de la semaine dernière. La jeunesse tunisienne continue à rêver d'émigration, sauf que ce rêve d'aller voir une herbe plus verte ailleurs est brisé par le régime de Kaïs Saïed. Selon les chiffres publiés samedi par l'agence italienne Nova, les départs de migrants depuis les côtes tunisiennes vers l'Italie ont connu une baisse de 80 % entre le 1er janvier et le 16 juillet 2025. Alors qu'ils étaient des milliers à partir chaque année vers l'Europe, seuls 648 migrants ont réussi la traversée clandestine en 2025. Mais il y a plus noir que le rêve d'émigration volé par le régime de Kaïs Saïed. Dimanche 20 juillet, on apprend la mort de Wassim Jaziri, 25 ans, à la prison civile de Sfax. Jeudi 17 juillet, on apprend la mort d'Amine Jendoubi, 21 ans, à la prison de Borj Amri. Dimanche 13 juillet, on apprend la mort de Hazem Amara, 24 ans à la prison de Belli. En huit jours, trois jeunes sont morts dans les prisons. C'est là la réalité et l'actualité sous le régime de Kaïs Saïed !
Une jeunesse qui souffre, loin des illusions présidentielles Pendant que le chef de l'Etat parle de jeunesse apte d'assumer des responsabilités, la jeunesse tunisienne est privée (par l'Etat) des loisirs qu'elle affectionne dans les maisons de jeunes. Pendant que le chef de l'Etat parle de jeunesse apte d'assumer des responsabilités, la jeunesse tunisienne est empêchée (par l'Etat) de vivre son rêve de partir en Europe. Pendant que le chef de l'Etat parle de jeunesse apte d'assumer des responsabilités, la jeunesse tunisienne meurt dans les prisons (de l'Etat). Il y a clairement une dissonance, un fossé, un gouffre, entre le discours officiel du président de la République, la réalité et l'actualité. La jeunesse tunisienne s'ennuie, la jeunesse tunisienne souffre, la jeunesse tunisienne meurt. La jeunesse tunisienne n'a rien à voir avec la jeunesse de Kaïs Saïed.