Non, « numépier » n'est pas le titre du dernier roman d'Amélie Nothomb. Contraction de « numérisation » et « papier », c'est un mot en apparence prétentieux, mais en réalité totalement absurde, inventé par votre serviteuse – avec l'aide de la version gratuite d'une bonne vieille IA. Vous allez vite comprendre que le concept vous est très familier. Quand le numérique se prend les pieds dans le papier C'est la rentrée. Pour les élèves, elle devrait rimer avec découvertes, apprentissage, ouverture d'esprit. Pour les parents, elle rime surtout avec embouteillages, files d'attente et retour à l'âge de pierre. Le ministère de l'Education a eu, ces dernières années, une idée géniale : l'inscription en ligne. Finies les queues interminables devant les écoles, les carnets sous le bras, les formulaires qui filent entre les doigts. Il suffit de taper vos coordonnées, celles de vos enfants, d'ajouter une photo scannée, et de cliquer sur INSCRIPTION. Une révolution. Enfin, en théorie. Dans la vraie vie, c'est une autre chanson. Une fois le formulaire rempli, validé et envoyé et que les frais d'inscription payés, on vous invite… à l'imprimer. Et à vous déplacer physiquement à l'école. À refaire la queue, en semaine, aux heures de bureau. À garer votre voiture à trois rues de là. Tout ça pour confirmer une inscription déjà confirmée. Là, rebelote : vous devrez chercher le nom de votre enfant sur une liste de vingt – ou quarante élèves –, vous rendre au bon guichet, imprimer et signer un nouveau formulaire où on vous demandera de réécrire les mêmes données, d'ajouter votre code postal, le numéro de votre bureau, la situation de votre couple… un échantillon d'urine et un test salivaire. On vous exige une photo au bon format, une enveloppe, un timbre. Des objets de musée que vous aurez chassés dans trois librairies, un bureau de poste et une recette des finances. Car oui, en 2025, l'école doit encore pouvoir vous envoyer une lettre par voie postale « en cas d'urgence vitale ». Le mail, c'est sans doute trop moderne. Résultat : deux heures perdues, un patron excédé par votre « autorisation de sortie », des embouteillages monstrueux. Et un sentiment d'être piégé dans la matrice kafkaïenne de la numédigitalisation. Encore, vous avez de la chance. Ceux qui inscrivent un enfant pour la première fois doivent aussi faire la queue au poste de police pour un certificat de résidence, avant de payer une quittance à la recette des finances. Le tout aurait-il pu être fait en ligne ? Bien sûr que oui. Mais quel parent tunisien renoncerait aux joies de l'administration, aux guichetiers grincheux et aux files interminables ?
La « numéripapérisation » Sur internet, les internautes ont déjà trouvé le mot parfait pour désigner ce mariage grotesque entre digitalisation et paperasse, intraduisible en français il pourrait ressembler à : la « numéripapérisation ». Un mot long, lourd, ridicule. À l'image du phénomène. Le ministère a mis des années à installer sa plateforme d'inscription. Résultat : on gagne dix minutes, mais on en perd deux heures. Même scénario à l'aéroport : il a fallu des décennies pour se débarrasser du petit bout de papier qu'on remplissait avant de décoller et au moment d'atterrir. Quant au timbre de voyage, cette aberration nationale, il a fini par devenir numérique… Du moins dans un seul aéroport pour l'instant. Victoire à la Pyrrhus. Et le reste ? Les périples du petit parent ne sont qu'une goutte dans un océan d'absurdité administrative. Les entrepreneurs et autres investisseurs en payent le prix lourd chaque jour au détriment de leur sang-froid, de leur santé mentale et de milliers de dinars investis. Les « démarches en ligne » qui exigent quand même un tampon humide, une photocopie de pièce d'identité, ou une signature manuscrite scannée vingt fois. Le numérique ici n'est jamais une solution, c'est un prétexte pour compliquer.
La paperiologie, art national « La paperiologie n'est pas un frein, c'est une garantie. Grâce à elle, chaque démarche numérique peut enfin exister sur du papier. » Voilà une phrase à placarder sur chaque administration. La vérité, c'est que la Tunisie n'a pas inventé la digitalisation. Elle a inventé mieux : la paperiologie. Une doctrine sacrée qui transforme chaque clic en cachet, chaque fichier en chemise cartonnée. Un art raffiné, une discipline nationale, presque un patrimoine immatériel. Ici, on ne simplifie pas : on complexifie par principe. La dématérialisation ne serait en effet rien du tout sans sa matérialisation en triple exemplaire, tamponnée par la recette des finances et le poste de police le plus proche. La paperiologie est partout. Elle rassure l'administration : tant qu'il reste un tampon, elle existe. Elle flatte aussi les citoyens : après tout, qu'est-ce qu'une rentrée sans trois files d'attente et un stylo Bic qui ne marche pas ?