Par Nizar BAHLOUL C'est un avocat. Un avocat de qui on pourrait dire qu'il est en mal de notoriété. Il s'est illustré ces dernières semaines par une plainte déposée contre Nessma TV. A la chaîne tunisienne privée, il reproche la diffusion d'un feuilleton de 4 épisodes relatif à la vie de Saddam Husseïn, House of Saddam. Selon lui, c'est-à-dire selon l'avocat, le feuilleton ternit l'image de Saddam et falsifie l'Histoire. Selon lui, c'est-à-dire selon l'avocat, les Tunisiens ne doivent pas avoir une mauvaise image de Saddam. Ils ne doivent pas savoir que le bonhomme était un dictateur responsable de la mort de centaines de milliers de ses compatriotes irakiens et de ses voisins iraniens. Pour l'avocat, les Tunisiens ne doivent pas savoir que Saddam a créé de toutes parts des veuves et orphelins. Ils ne doivent pas savoir qu'il a envahi un pays voisin, souverain et indépendant. Ils ne doivent surtout pas savoir qu'il vivait dans des palais tout en marbre avec des salles de bain à la robinetterie tout en or, pendant que son peuple souffrait le martyr. Et certainement, toujours selon l'avocat, les Tunisiens, ne doivent pas savoir que Saddam s'est échappé quand son pays a été envahi et qu'on a fini par le retrouver caché dans un trou, avant de lui passer la corde au cou, sous les applaudissements de millions de ses ex-sujets. La bonne version de l'Histoire, pour cet avocat et ses semblables, est que Saddam est un martyr. Est un président héroïque ayant affronté l'ennemi avec courage. Est un soldat trahi par les siens. Est un homme qui n'a cessé de défendre son peuple. Pour preuve, ils nous montrent ce qu'est devenu le pays après sa destitution. Selon notre avocat, c'est cette version que nous devons retenir. Que l'Histoire doit retenir. C'est d'ailleurs cette version qui nous est servie à longueur d'année par un grand nombre de nos journaux et un très grand nombre de satellitaires arabes. Toute version contraire à celle-ci mérite, selon notre avocat, la censure. Et nous y revoilà dans la pensée unique. Et nous y revoilà en train de recevoir des sempiternelles leçons façonnant nos idées et notre vision. Jusqu'à un temps récent, et dans plusieurs pays y compris les plus développés, ce sont les autorités que l'on accuse de vouloir censurer les créateurs de tous bords. De vouloir empêcher la population d'avoir accès à une information, de chercher à redorer le blason d'un dirigeant. De tous temps, et dans plusieurs pays y compris les moins développés, ce sont les avocats qui figurent aux premières lignes pour défendre les libertés, les créateurs. Chez nous, et ce n'est hélas pas une première, certains de nos avocats (une infime partie, heureusement) n'hésitent pas à user des pires armes (et la censure en est une) pour défendre leur idéologie, pour protéger leur pensée. Une pensée unique. Toute réflexion différente est à bannir. Toute voix qui s'élève est à faire taire. Mais il se trouve que le tribunal (saisi en référé) n'a pas tranché en faveur de l'avocat et les Tunisiens ont fini par voir le feuilleton en intégralité ! Ils n'ont certainement pas attendu ce feuilleton pour se faire leur idée et conclure si Saddam est héros ou tyran. N'empêche. J'ai toujours pensé que la Tunisie et les Tunisiens sont extraordinaires. Notre avocat nous le prouve davantage. N'est-ce donc pas extraordinaire de voir un avocat qui "milite" pour la censure en face d'une justice qui a respecté la liberté d'expression et la création ? Maître, puisque votre statut d'avocat m'oblige à vous appeler ainsi, vous n'êtes pas un maître d'école pour nous dicter ce que nous devons et nous ne devons pas voir. Vous n'êtes ni notre tuteur, ni notre porte-parole. En dépit de ce que pourrait penser cet avocat, et ses semblables en mal de célébrité, un tel prononcé reflète parfaitement la justice que nous désirons pour la Tunisie. Une justice défendant la liberté d'expression, la liberté de pensée même si cette pensée est à contre-courant d'une idéologie dominante. C'est cette justice que nous désirons, c'est à cette liberté que nous aspirons, car c'est cette idéologie qui nous permet de dire (à l'instar du slogan actuellement sur nos écrans) : Tunisien et la tête haute !