Comme chaque année, en pareille période, Madame Lune se fera désirer longuement. Des milliers de personnes lèveront les yeux au ciel pour tenter de la voir mercredi prochain et des centaines de millions de fans s'enquerront de ses nouvelles. L'a-t-on observée ? Qui l'a vue ? Il parait que les Saoudiens l'ont vue. Il semblerait que les Marocains ne l'ont pas vue. Cette année, plus que toute autre, Madame Lune se fera encore davantage désirer par les Tunisiens. Et l'écrasante majorité des Tunisiens voudraient que notre mufti et ses équipes la voient dès mercredi pour que l'aïd soit annoncé dès jeudi. Car si l'aïd tombe un jeudi, les Tunisiens vont avoir quatre jours de congé non stop. Du jeudi au dimanche ! Un truc pareil, on ne le verra pas tous les ans, surtout lorsqu'il arrive après trois mois de farniente. Tout le monde est content ? Tous sauf les fonctionnaires ! Il se trouve que les entreprises tunisiennes privées, la majorité d'entre-elles du moins, travaillent du lundi au vendredi, selon un horaire particulier. L'administration tunisienne, elle, a trois horaires différents par semaine. Un valable du lundi au jeudi, un autre à mi-temps pour le vendredi et un autre à mi-temps pour le samedi. Depuis le temps qu'on exerce cet horaire singulier, on s'y est habitué. Mais ce à quoi personne ne s'est habitué, et ça le sera encore davantage cette semaine, c'est cette histoire de couper un long congé de quatre jours pour venir travailler une demi-journée. Je ne sais pas ce qu'ils en pensent au Premier ministère, mais il est fort à parier qu'il n'y aura que deux types de fonctionnaires samedi prochain : les absents j'menfoutistes et les présents frustrés et révoltés par cette injustice calendaire. Ni les premiers, ni les seconds ne seront productifs samedi prochain. Et c'est même pire pour les seconds car, non seulement ils ne seront pas productifs, mais ils vont devoir consommer inutilement de l'énergie en allumant ordinateurs et climatiseurs. Le prochain week-end soulève deux points importants relatifs au fonctionnement de l'administration tunisienne. Pourquoi ne pas officialiser, à l'instar d'autres pays (y compris industrialisés), le pont du long week-end en accordant clairement et légalement à tout le monde ce que tout le monde ou presque s'accorde illégalement et obscurément ? Il est évident que ce n'est pas avec ce type de raisonnement qu'on va assurer la productivité du pays, mais il est évident aussi qu'aucun « grand esprit » et qu'aucun gouvernement, aussi populaire soit-il, ne pourra faire quelque chose face à un événement religieux aussi important célébré par l'ensemble des familles tunisiennes, toutes classes confondues. A Noël, à la Saint Sylvestre ou à Pâques, les gouvernements européens n'hésitent guère à accorder à leurs administrés des ponts, sachant pertinemment qu'ils ont des centaines de kilomètres à avaler en quelques jours pour aller passer ces vacances « sacrées » en famille. Ce qu'on verra samedi prochain dans nos entreprises publiques est tout simplement de l'hypocrisie administrative. Les responsables et chefs de service s'absenteront sans craindre de devoir rendre des comptes à leurs supérieurs, alors que les subalternes devront couper leurs fêtes pour venir pointer, sans réellement travailler. Au meilleurs des cas, pour les plus « courageux », ils s'absenteront pour passer la fête en famille, au bled, mais en étant angoissés face à la sanction qui les attend, au retour au bureau. Ce n'est certainement pas ainsi qu'on motive les troupes et ce n'est certainement pas ainsi qu'on obtient la productivité requise. Le second point soulevé par le prochain week-end est cette aberration administrative qui n'a que trop duré. La majorité des entreprises tunisiennes privées travaillent du lundi au vendredi. Idem pour nos partenaires européens. Tout le monde a des semaines de cinq jours, y compris les pays islamiques qui chôment vendredi-samedi. Tout le monde, sauf l'administration tunisienne qui, avec son horaire singulier, ne crée que des mécontents. On a longtemps prétexté la prière hebdomadaire pour justifier ce travail à mi-temps du vendredi. Mais, franchement, combien représentent les adeptes de la prière du vendredi dans l'administration tunisienne ? Non seulement les femmes fonctionnaires n'y vont pas (puisque cette prière n'est obligatoire religieusement que pour la gent masculine), mais en plus le nombre des pratiquants est inférieur, à vue d'œil, à celui des non-pratiquants et pas du tout concernés par cette heure de prière. Décréter officiellement la semaine de cinq jours, tout en apportant les aménagements horaires nécessaires aux seules personnes désireuses d'accomplir leur devoir religieux, devient nécessaire. Le secteur privé a trouvé la solution en accordant aux salariés le temps nécessaire pour aller prier. Notre administration n'a que trop souffert par son manque de modernisme en décalage d'un pays et d'une économie en incessantes croissances et cherchant à épouser leur époque.