S'il est vrai que les structures régionales de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) ont rencontré des difficultés logistiques pour répondre, dans les délais, au flux immense des candidatures qui lui sont parvenues, ceci n'est rien comparativement au flou qui embaume les esprits des citoyens appelés à faire un choix déterminant pour l'avenir de la Tunisie. Les électeurs n'ont jamais été placés face à leurs responsabilités pour faire le choix de la société qui leur sied le mieux. Ils ont été habitués à ce que l'on décide à leur place ou, à la limite, à ce qu'il y ait un semblant de ‘consensus national' auquel ils n'avaient qu'à adhérer sans se casser la tête. Aujourd'hui, la révolution du 14 janvier a permis de changer la donne. Ce sont les citoyens tunisiens qui vont choisir le modèle de société qu'ils veulent. Ils vont exprimer ce choix dans la nouvelle constitution qui va être rédigée par les députés qui seront élus le 23 octobre prochain. Une société civile dynamique et plus de 110 partis politiques veillent à réunir toutes les conditions objectives afin que les prochaines élections soient libres, démocratiques et transparentes et à ce que les résultats sortis des urnes traduisent la volonté populaire. L'Instance supérieure indépendante des élections, présidée par Kamel Jendoubi, fait de son mieux pour garantir les meilleures conditions pour la tenue de ces élections. Mais, une donnée essentielle manque à ce tableau. Les citoyens ne savent pas où donner la tête face à cette floraison de partis politiques et de listes indépendantes. Cette difficulté de choix est d'autant plus évidente que la majorité des partis politiques n'ont pas encore dévoilé de programmes. Ils se limitent à des slogans partagés par tous, parlant sommairement de démocratie, d'égalité, de magistrature indépendante et d'équilibre régional. Or, la question est beaucoup plus profonde. Le 24 octobre prochain, la Tunisie aura une chambre de représentants élus qui seront appelés à décider du choix sociétal mais, aussi, du nouveau budget pour l'année 2012. Pourtant, aucun parti ne s'est adressé à la population pour parler de ses choix en matière de fiscalité. Ils se sont limités à nous parler d'équité fiscale. La fiscalité n'est d'ailleurs qu'un exemple parmi un lot de questions pratiques auxquelles le nouveau gouvernement issu des élections, est appelé à répondre. D'autres questions sont aussi simplistes que pertinentes. Les jeunes qui se sont révoltés contre le chômage et la précarité, veulent voir la fin de leur calvaire et ils se demandent sur les moyens de le faire. Les partis politiques sont appelés à s'exprimer sur cette problématique. En plus et comme il s'agit de rédiger une Constitution, les partis sont dans l'obligation de nous dévoiler leur position sur l'éducation qu'ils vont proposer aux enfants, le modèle de justice qu'ils conçoivent, la place de la femme dans la société, etc. En l'absence de telles réponses, comment pourrait-on choisir ? Comment pourrait-on distinguer le bon grain de l'ivraie ? L'expérience est certainement très réussie jusque là avec plus de 1600 listes et 10.000 candidats pour les 217 sièges de la Constituante. Mais, les citoyens sont perplexes et ont peur de choisir. Ce n'est pas parce que Hamma Hammami, Néjib Chebbi, Rached Ghannouchi ou Moncef Marzouki, voire Mustapha Ben Jaâfar et Ahmed Brahim, ont été bousculés par le régime dictatorial de Ben Ali, qu'on doit leur accorder confiance. Les citoyens veulent être sûrs que le nouveau régime issu des prochaines élections traduise leurs aspirations de liberté politique et de justice sociale. Or, les slogans n'ont jamais suffi pour bâtir un Etat. Un programme clair est nécessaire. Il est censé exploiter comme il se doit les ressources humaines et matérielles de la Tunisie pour la faire sortir du gouffre et épargner son peuple de nouvelles années de disette socioéconomique. Face à ces enjeux fondamentaux, il n'y a que l'overdose de candidatures comme réponse disponible. Donc, les citoyens auront des difficultés pour faire leur choix, surtout en l'absence de programmes politiques et économiques clairs. Hormis le Forum de Ben Jaâfar et le pôle démocratique progressiste évoluant autour d'Ettajdid, voire le PDP de Néjib Chebbi, qui ont dévoilé des séries de mesures pratiques pouvant être assimilées à des programmes, le reste des partis politiques, y compris Ennahdha, n'ont pas présenté de programme. Ennahdha n'a cessé de nous promettre un programme qui n'a pas encore mûri. La dernière promesse remontait à l'après-Aïd, soit une bonne quinzaine de jours. Donc, s'il est vrai que ce moment laisse entrevoir un espoir de démocratie en Tunisie, l'absence de programmes laisse planer des craintes quant à l'avenir de ce processus. La transition politique ne peut réussir comme il se doit que sur la base d'un programme économique propulsant la Tunisie vers une société technologique. Mounir Ben Mahmoud