Le pire, c'est que des milliers d'employés dans ces secteurs étatiques sont empêchés de travailler. Avec ça, ils continuent à percevoir leurs émoluments mensuels. Il s'agit d'un saignement tragique de la trésorerie publique qui subit le cumul du déficit des recettes du phosphate et du paiement indu des salaires. Il est clair que cette situation ne saurait perdurer. Mais, que faire ? Les nouveaux gouvernants ne peuvent continuer à feindre l'indifférence face à la situation alarmante prévalant dans les entreprises de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et celles du Groupe chimique tunisien (GCT), ainsi que dans bien d'autres entreprises étatiques. Il est impératif que ces unités de production reprennent le travail. Il faudrait, toutefois, trouver des solutions et pas n'importe lesquelles. Des solutions provisoires comme celles trouvées par le ministre du Transport avec les sit-inneurs de Menzel Bouzaïene, qui bloquent la voie ferrée entre Gafsa et Sfax, peuvent constituer des bombes à retardement. Karim Harouni a fait preuve d'amateurisme en engageant le gouvernement sur des solutions au problème du chômage d'ici un mois ! N'a-t-il pas conscience que des promesses non-tenues peuvent aggraver de tels problèmes, comme ce fut le cas la veille à Gabès ? Le gouvernement est dans l'obligation pratique d'entamer des actions pour faire face à la profusion des sit-in. Les chômeurs et les citoyens des zones déshéritées commencent à perdre patience. Ce sera dans quelques jours le premier anniversaire de la chute de la dictature alors qu'ils ne voient rien se profiler à l'horizon. Le premier gouvernement était là juste pour assurer la transition, n'ont cessé de dire les gouvernants actuels, Marzouki et Ennahdha en tête. Ces derniers ont eu donc huit mois pour se préparer à gouverner et le peuple attend les actes, pas les promesses. Que faire donc pour réaliser les objectifs de la révolution ? Une semaine après la nomination du gouvernement de Hamadi Jebali, il n'est certes pas encore le moment d'en faire le bilan, même provisoire. Mais, il est utile de donner un aperçu sur les raisons des principaux sit-in auxquels il faut faire face, pour aider à la reprise économique. Il faudrait bien comprendre le mal avant de proposer les remèdes. Concernant le sit-in paralysant la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), des centaines de chômeurs empêchent le travail sur ce site depuis des mois. Ils contestent les résultats du concours de recrutement. Ainsi, la Tunisie n'a pratiquement produit en 2011 que près du tiers de sa production annuelle de phosphate, qui rapportait auparavant plus d'un milliard de dinars de recettes à l'Etat alors qu'elles n'ont guère dépassé 200 millions de dinars l'année écoulée. Le groupe chimique tunisien (GCT) à Gabes représente, lui aussi, l'un des principaux sites de contestation. Le travail y est pratiquement arrêté depuis des mois en raison des contestations sociales, aussi bien aux usines d'acide phosphorique qu'à l'usine de DAP Di-ammonium de phosphate. La Tunisie a dû importer 30.000 tonnes d'engrais azotés pour ne pas compromettre la saison agricole. 20.000 autres tonnes seront importées dans les prochains jours pour répondre aux besoins du marché local. C'est dire toute l'absurdité de la situation lorsqu'un pays exportateur, importe ses propres besoins. Mais qui est responsable de cette situation ? Les réponses sont certes multiples mais elles se dirigent quasiment toutes vers les politiques, notamment ceux de l'actuel gouvernement, pour le responsabiliser. Selon ce raisonnement, les raisons sont simples. Lorsqu'ils étaient dans l'opposition, Ennahdha et Marzouki ont promis des solutions à la problématique de l'emploi et encouragé les sit-in. Le programme d'Ennahdha a promis 590.000 créations d'emploi, dont 180.000 durant les deux premières années. N'est-ce pas si Ridha Saïdi ? Ne nous a-t-il pas contredits lorsque nous avons critiqué ici sur ces colonnes le programme d'Ennahdha, adressant un droit de réponse ? L'esquisse de programme présenté par Hamadi Jebali parle timidement de 25.000 créations d'emploi dans la fonction publique. Elle est restée muette sur les autres questions. Pourtant, le peuple attendait de voir dans cette esquisse les premiers signaux de réalisation des promesses annoncées dans le programme électoral. Rien n'en fut. L'esquisse n'a même pas expliqué les raisons de cette hésitation. Or, un tel discours aurait du être très franc et dire toute la vérité au peuple. Il aurait fallu expliquer qu'un déficit budgétaire de 6% signifie que l'Etat vit au-delà de ces moyens. Un facteur induisant systématiquement l'inflation et la cherté de la vie et que, pour la dépasser le plus rapidement possible, toutes les classes sociales réunies doivent consentir à des sacrifices. Il aurait fallu que le message s'adresse aux couches populaires leur signifiant sa compréhension et son soutien à leurs attentes, s'agissant d'une phase révolutionnaire. Mais, tout le peuple est censé consentir des sacrifices pour le bien de la révolution. Ce message, aussi démagogique soit-il, est absent, laissant place à de vagues promesses. Pourtant, si on n'anticipe pas en disant la vérité au peuple, il y a des risques que le mécontentement s'accroît. Il faut expliquer au peuple les limites de notre potentiel économique, avant qu'il ne se retourne contre ceux qu'il a élus. Il est impératif que le gouvernement explique au peuple que destituer Ben Ali ne veut nullement dire que tous les chômeurs vont avoir de l'emploi et tous les pauvres vont s'enrichir. Et même si cette hypothèse était réalisable, elle ne se ferait pas en un temps court, mais en des phases. Or, ces étapes d'expansion économique nécessitent des quinquennats de réussite. Les politiques sont appelés à expliquer cette situation pour que le peuple s'arme de patience et de labeur, sans lesquelles on ne peut pas réussir. Regardez ce qui se passe en Grèce, c'est ce qui nous attend si on ne résout pas le problème du déficit budgétaire. Il faut se remettre au travail et serrer la ceinture. C'est ainsi qu'on obtiendra de bons résultats et on pourra réussir la transition économique. Lorsqu'on promet à la population des centaines de milliers de créations d'emploi, ainsi que d'autres solutions miraculeuses pour améliorer leur condition de vie, on ne saurait s'opposer à eux s'ils organisent des sit-in pour demander de tenir ces promesses. C'est là toute la difficulté de cette équation. Mounir Ben Mahmoud