Il était président de la Ligue des Droits de l'Homme, il était militant, il était actif. On le lisait régulièrement sur Tunisnews et on aimait sa persévérance. Les journaux de caniveau l'insultaient, les journalistes courageux l'encensaient et la majorité se taisait. Un jour, il a choisi de s'enfuir, alors qu'il ne risquait même pas la prison, comme beaucoup d'autres. C'est son choix et il a continué son militantisme à distance. Toujours humain, toujours laïc, toujours ouvert, toujours respectueux des libertés. Ses nombreux écrits, ses multiples articles témoignent pour lui. On les dévorait, on les échangeait sous le manteau. La révolution est advenue et Moncef Marzouki est rentré. Incontestablement, il y a participé, bien qu'il ait été lointain. Incontestablement, il mérite son titre de révolutionnaire, terme galvaudé aujourd'hui à merveille. Malgré cela, des idiots ont eu le culot et l'audace de l'agresser quand il est allé à la Kasbah au lendemain de son retour. Mais malgré l'agression et la sauvagerie de l'acte, Marzouki est resté fidèle à son objectif militant. Il sera le rassembleur. Les élections lui donnent une claque. Seules 7000 personnes ont voté pour lui et il ne sera député que grâce à un stratagème électoral. Mais sa détermination ne changera pas d'un iota. Sur le terrain, il privilégie les négociations des coulisses. Dividendes immédiats. Le vainqueur Ennahdha lui offre la présidence de la République. Un cadeau en or ou un cadeau empoisonné ? L'avenir nous le dira. Depuis qu'il a accédé au Palais de Carthage, Moncef Marzouki a changé. Radicalement changé. C'est sous sa présidence qu'un journal a été saisi. C'est sous sa présidence qu'un directeur de journal s'est trouvé derrière les barreaux. Même Ben Ali n'a pas osé autant d'audace. L'ancien dictateur sauvait les apparences et créait, de toutes pièces, des affaires de droit commun pour mettre un journaliste en prison. Marzouki a changé et il s'en défend. Avec son burnous, il veut faire croire qu'il est toujours l'homme du peuple. Sous son règne, un journaliste est en prison et il s'en défendra. Il s'est pourtant précipité pour s'excuser pour les « microbes », pourquoi n'a-t-il pas réagi à l'emprisonnement d'un journaliste ? Passons. Marzouki a changé et ses proches le savent. Ses amis le savent. Ceux qui l'ont connu de près le savent. Et ils en témoignent. L'un des premiers à avoir réagi à ce changement, c'est Omar S'Habou. Un compagnon des années de braise. Taoufik Ben Brik, autre compagnon des années de braise, lui a craché ses quatre vérités dans son « Contre le Pouvoir ». Le dernier à dire que Marzouki a changé, et qui ne le reconnait plus, c'est Slim Bagga en consacrant à l' « ami Marzouki » toute la Une de l'Audace. Il ne manque plus que Souhir Belhassen, présidente de la Ligue internationale des Droits de l'Homme et la boucle sera bouclée. Moncef Marzouki semble avoir oublié ses amis. Ces compagnons des années de braise ne comptent plus pour lui, visiblement, il n'en a plus besoin, maintenant qu'il est à Carthage. Maintenant, Marzouki a de nouveaux amis. La majorité de ceux qui l'entourent actuellement, il les a connus en 2011. On ne saura dire s'ils sont ou pas opportunistes, mais il est certain que le nouvel entourage de Marzouki ne ressemble en rien à celui des années de braise. Et il est également certain que dans cet entourage, on trouve des dizaines et des dizaines de courtisans. Enfin, il est plus que certain que ceux qui l'entourent cacheront, tôt ou tard, les réalités au président pour ne lui donner que leur vérité. Et ils le pousseront, un jour, à dire : « On m'a trompé ». Marzouki est à Carthage et ce palais est une prison dorée dont les geôliers sont ces courtisans qui l'entourent. Et ces geôliers ne vivent que grâce à leur courtisanerie pour lui et leurs insultes immondes pour les autres (j'en sais quelque chose). Et plus le temps avance, plus le nombre de ces geôliers va augmenter. Et plus le temps avance, plus Marzouki va se plaire dans sa prison dorée et il va tout faire pour y rester le plus longtemps possible. Même s'il ne le voulait pas, ses courtisans le voudront, car sans lui, eux n'existent pas. Et plus le temps avance, plus il va considérer les critiques comme des détracteurs et les vrais amis comme des ennemis. Il ne saura écouter que les paroles des courtisans. Cela ne vous rappelle personne ? La dernière prestation télévisée montre un Marzouki proche du peuple. « Mais regardez-le, il parle comme nous ! Il ne porte pas de cravate comme nous ! Il travaille du matin au soir pour nous ! » Du populisme, du populisme et du populisme. Moncef Marzouki commence à maîtriser à merveille l'art de la communication. De la tchatche. Plus il donne d'interviews, plus il maîtrise les journalistes. Il s'exerce au quotidien avec tous les journalistes qu'il rencontre. Bientôt, il n'en fera qu'une bouchée de pain. C'est d'autant plus facile que les journalistes tunisiens ne sont pas du tout habitués à interviewer des chefs d'Etat et n'ont quasiment aucune possibilité de multiplier ce type de rencontres pour s'y exercer. La preuve, il a multiplié les contre-vérités sans qu'il ne trouve de contradicteurs et a zappé, comme il le voulait, les questions auxquelles il n'avait pas de réponse. Moncef Marzouki est sur une autoroute sans limite de vitesse, vers la présidence pour cinq années. Voire pour 23 autres années. Et ça aussi, il s'y exerce. En créant son gouvernement parallèle avec une pléthore de conseillers, en multipliant les voyages, en multipliant les sorties médiatiques, il se prépare clairement pour un régime semi-présidentiel. Ses pouvoirs fort limités ne permettent pas autant d'action et un entourage si élargi, et pourtant ! Quand Hamadi Jebali était à Jendouba pour voir les sinistrés du froid, Moncef Marzouki était en tournée maghrébine. Pendant que Hamadi Jebali était penché sur des dossiers socio-économiques épineux, Moncef Marzouki était devant les caméras peaufinant son image. Il dit travailler du matin au soir. Mais même l'épicier du coin travaille du matin au soir. Selon ses prérogatives limitées, M. Marzouki ne devrait pourtant pas avoir autant de travail. C'est au chef du gouvernement de nous trouver des solutions et non à lui. On pourrait bien le remercier de mettre la main à la pâte, mais le bateau a besoin d'un seul capitaine et non de deux. Moncef Marzouki travaille du matin au soir et il ne ment pas. Mais il travaille à quoi ? Est-ce qu'il travaille pour les Tunisiens ou il travaille pour sa campagne et son élection ? Si c'est la première option, nous n'avons encore rien vu du résultat de son travail. Même pas de programme ou de lueur de programme. Mais si c'est la seconde option, le résultat est déjà palpable. Moncef Marzouki caracole dans les sondages et jouit d'une popularité extraordinaire. La majorité des Tunisiens le voit comme LE parfait président. S'il n'y avait pas d'islamistes, on nous l'aurait présenté comme messie. Et il est à parier qu'il va remporter les prochaines élections et pourrait même, extrême jouissance, renvoyer l'ascenseur à Ennahdha et lui proposer, à son tour, de poursuivre le chemin ensemble. Et si c'était son objectif unique et depuis toujours ? Et si son militantisme d'hier n'était qu'une façade ? Et s'il a toujours été prisonnier de cette idée ? Quand on voit son comportement, quand on voit notre confrère en prison, quand on entend les témoignages de ses amis, on est porté à croire que Moncef Marzouki ne pensait qu'à ça depuis des années. Chaque matin en se rasant. Dommage, on aimait bien le Docteur Moncef Marzouki d'hier. Celui qui portait la cravate en signe de respect à ses interlocuteurs et aux institutions, celui qui respectait la liberté d'expression, celui qui prônait la laïcité. En bref, celui qui n'était pas à la prison-palais de Carthage entouré par tant de geôliers-courtisans.