La Loi de finances complémentaire, telle que présentée en projet par le ministère des Finances n'a pas cessé de faire polémique dans le milieu de la finance, des économistes et des fiscalistes. Une Loi de finances dite exceptionnelle, relative à une année exceptionnelle et censée être, par conséquent, exceptionnellement pragmatique, ambitieuse et répondant aux attentes des citoyens après la révolution. Sauf que, de part et d'autre, les voix s'élèvent et les critiques se multiplient, la Loi de finances ne fera pas que des heureux. Que manque-t-il à cette Loi de finances complémentaire pour satisfaire l'opinion publique? que reproche-t-on à ses concepteurs? Et que recommande-t-on pour rectifier le tir? La Loi de finances, a été présentée dans ses grandes lignes par Houcine Dimassi, ministre des Finances, ainsi que des membres de son cabinet. Dans une tentative de faire la lumière sur ce projet de loi, le ministère a spécifié que le budget de l'Etat sera augmenté de 2,5 milliards de dinars pour atteindre un total de 25,4 milliards de dinars, d'où une majoration jugée «raisonnable». Ce budget provient, selon M. Dimassi, de plusieurs ressources, dont la confiscation des biens mobiliers, immobiliers et financiers de la famille de l'ancien président, et les réserves encore dues sur la privatisation de Tunisie Télécom en 2006, lesquelles réserves avoisinent les 900 millions de dinars. Par ailleurs, la Loi de finances complémentaire préconise d'améliorer la rentabilité de la taxation avec des contrôles et des rappels d'impôts dus et non encore payés à l'Etat. Il s'agirait donc de récupérer les taxes et impôts non encore payés par les citoyens, moyennant des incitations et encouragements, tels que l'effacement des dettes prescrites ou encore l'annulation des pénalités de retard, un genre d'amnistie fiscale. Ces mesures sont loin de convaincre. En effet, Mohamed Chawki Abid, un des conseillers économiques du président de la République avait considéré sur sa page officielle Facebook que «cette Loi de finances est bidon et représente un flirt périlleux avec les Salafistes. C'est une réhabilitation et un recrutement des Benalistes et un cautionnement des corrompus ». Il a tenté de justifier ces propos, sur les ondes de Mosaïque Fm, en affirmant qu'il s'agissait de «l'expression d'un avis personnel qui n'aurait pas dû être publiée sans son accord». Sauf que M. Abid a certainement oublié qu'un commentaire posté sur plusieurs publications, émanant d'un conseiller de la présidence, ne peut passer inaperçu et n'a nullement besoin de son aval pour devenir public. M. Abid se rétracte partiellement, rectifie son jugement amplement négatif de cette loi et se limite à statuer sur le caractère incomplet et limité de la loi. De son côté, Slaheddine Zahaf, élu indépendant à la Constituante, expert-comptable de profession, n'a pas hésité à critiquer ladite Loi de finances, notamment sur le plateau de la télévision nationale en date du 19 mars 2012. En effet, M. Zahaf, en présence du secrétaire d'Etat des finances, Slim Besbès, a commencé par dénoncer le peu de temps dont dispose la Constituante pour statuer sur le projet. Il a précisé que ledit projet va être soumis au vote sans donner l'occasion aux élus de l'analyser, le discuter et lui apporter les modifications adéquates. Il a ajouté : Que signifie l'ajout de 100 millimes au timbre fiscal, ou 100 millimes à la taxe de téléphone? Où sont les incitations réelles pour l'emploi et l'investissement? A-t-on seulement pensé aux 700000 chômeurs? En fait, aucun message n'émane de cette loi de finances». Par contre, M. Zahaf propose d'instaurer une amnistie de change et des incitations inconditionnelles pour les investisseurs, car selon lui, le pays regorge de ressources matérielles, mais les citoyens ont besoin d'encouragements concrets pour débourser leur argent. L'UGTT, pour sa part, a également critiqué cette loi, la trouvant très peu innovante et ne répondant nullement aux objectifs de la révolution. Abderrahmane Lahka, représentant l'UGTT sur le même plateau a précisé que cette loi de finances vise à «réanimer» l'économie nationale, or il faudrait également songer à créer de l'emploi, revendication essentielle et existentielle de la révolution. M. Lahka a précisé que le taux de croissance projeté par cette loi se limite à 3,5%, un taux qu'il considère peu ambitieux et décevant pour un peuple qui s'est révolté. Par ailleurs, le représentant de l'UGTT a mentionné le licenciement impromptu du directeur de l'Institut National des Statistiques, lequel licenciement reste toujours inexpliqué et incompréhensible. Il a expliqué que le limogeage du premier responsable des indices économiques sème un sentiment d'insécurité et de méfiance, or les investisseurs ont besoin d'être rassurés avant d'injecter leur argent dans l'économie nationale. En réponse à ces critiques, le secrétaire d'Etat, Slim Besbès s'est défendu en disant que la priorité pour le pays en fin d'année était la survie de l'économie et la continuité du cycle d'activités. L'heure n'est donc pas aux réformes structurelles de l'économie. Le contexte historique, étant exceptionnel, la Loi de finances ne peut résoudre tous les problèmes. Le projet de loi de finances est tout de même pour lui certainement ambitieux et même révolutionnaire, avec l'appel lancé à tous les citoyens afin d'investir en infrastructure et en emploi. Plus explicitement, le ministère des Finances lance un appel aux citoyens de faire des dons et des investissements volontaires, contre des avantages fiscaux, voire même une amnistie. L'administration fiscale s'abstiendra de questionner les investisseurs sur leurs ressources. Là encore, le risque de blanchiment d'argent a été évoqué par les analystes, car il reste difficile de délimiter l'amnistie et de contrôler les provenances des fonds à investir. En tout état de causes, le projet de Loi de finances, tel que présenté et proposé au vote, a suscité de grandes polémiques et son élaboration ne semble pas faire preuve d'un effort tangible, de rénovation et de recherche de solutions aux difficultés qui pèsent lourd. Ce qui revient à dire que des études plus approfondies, plus étayées faites par des experts et spécialistes, ne sauront résorber toutes les défaillances mais pourront au moins en réduire l'étendue.