La commission des experts au sein de l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprises (IACE) s'est penchée sur la dégradation de la notation de la Tunisie effectuée par Standard & Poor's au mois de mai dernier. Les experts économistes ont donc réalisé un rapport, dans lequel ils analysent les données présentées par S&P, et qui démontrent les raisons d'une telle dégradation. Une table ronde a été également organisée au siège de l'IACE, le vendredi 13 juillet à l'effet de présenter ce rapport et de discuter certains de ses aspects avec plusieurs parties concernées, dont Moncef Ben Slama, président de la commission, Ghazi Boulila directeur général CREFM à la Banque centrale de Tunisie, Walid Belhadj Amor, président du Centre tunisien de veille et intelligence économique (CTVIE) et Nizar Bahloul, directeur général de Business News. Le conseiller du chef du gouvernement Ali Chebbi, dont la présence était prévue et confirmée par la présidence du gouvernement, a brillé par son absence, sans qu'on sache les raisons de son manquement à ce rendez-vous. En ce qui concerne le vif du sujet, la dégradation de la notation tunisienne, il est à rappeler que ce déclassement survient après la dégradation ou le placement sous surveillance négative des notes souveraines de la Tunisie, opérés par les principales agences de rating en 2011. Etant donné que l'abaissement a atteint deux crans de la note de la dette à long terme de la Tunisie en monnaie locale et étrangère de BBB(-) à BB ainsi que celle du crédit émetteur de la BCT de BBB(-) à BB stable, cet abaissement relègue le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs. Plusieurs lacunes sont listées par S&P en tant que motifs de cette dégradation, à savoir les performances considérées en deçà des attentes : «Les indicateurs économiques, fiscaux et externes de la Tunisie sont maintenant plus faibles que ce que nous avons précédemment prévu» ont-ils affirmés en l'occurrence. Autre lacune citée, les incertitudes politiques: «Nous pensons que les incertitudes politiques à moyen terme vont persister, au moins jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'élection d'un Gouvernement. Nous n'anticipons pas cela avant la mi-2013». S&P a également relaté «l'incapacité proactive du Gouvernement». Ils s'expliquent en affirmant: «Nous ne croyons pas que le Gouvernement de transition de la Tunisie, en poste depuis décembre 2011, sera en mesure de prendre des mesures proactives correctives pour contrer l'affaiblissement de l'économie et de la sphère financière, qui seraient compatibles avec un rating investment grade ». En outre, S&P évoque les moins-values de croissance transmise à partir de la zone euro: «La baisse des recettes touristiques et un creusement du déficit commercial ont conduit à une plus faible position de liquidité extérieure combinée à une augmentation du stock de la dette extérieure à court terme. Nous prévoyons que la reprise sera lente, en particulier compte tenu de la faiblesse de l'environnement économique dans l'UE, qui est le principal marché d'exportation de la Tunisie et une source importante d'IDE et de flux touristiques». La dette publique et «les difficultés sociales de réajustement» n'en sont pas moins responsables. En effet selon S&P: «L'augmentation des dépenses publiques pour soutenir la demande intérieure et pourvoir aux besoins de subsistance a permis à la Tunisie d'éviter une récession plus profonde en 2011, mais cela a conduit à une forte détérioration des finances publiques. Nous prévoyons maintenant un déficit budgétaire global de près de 7% du PIB en 2012, supérieur à notre prévision précédente de 3.9%». Le facteur de vulnérabilité de la position extérieure a également été mentionné par S&P : «Le déficit courant s'est fortement creusé à près de 7.5% du PIB (deux points de pourcentage plus élevé que notre prévision précédente) et nous prévoyons qu'il restera supérieur à 5% jusqu'en 2015… Le financement extérieur pourrait « devenir sous pression » si les IDE restent soumis aux incertitudes politiques et si les banques, qui ont une dette extérieure à court terme significative, éprouvent des problèmes récurrents». Par ailleurs, «les notations continuent d'être altérées par la fragilité du système bancaire du pays, qui se caractérise, selon nous, par une faible qualité des actifs»… «Les créances intérieures sur le secteur privé ont augmenté de 13% en 2011 et nous prévoyons qu'elles augmenteront encore de 11% en 2012, en partie en raison des larges restructurations du principal et des intérêts des prêts». Lors de la table ronde, l'accent a été mis sur les inquiétudes partagées aussi bien par S&P que par les intervenants. Nizar Bahloul s'est enquis sur la possibilité de dresser une feuille de route, en l'absence du représentant du gouvernement censé prendre part à la discussion. Il a rappelé l'actualité plutôt instable du pays avec une justice qui avance difficilement dans le processus d'assainissement, les actions de certains salafistes tolérés par les autorités et non sanctionnés, des problèmes de coupure d'eau et d'électricité, … plusieurs problèmes qui sont loin d'encourager les investisseurs étrangers à injecter leurs capitaux et leur savoir-faire dans l'économie nationale. Bien que présentant des faits décrivant l'actuelle situation en Tunisie et reflétant les inquiétudes des investisseurs, les problèmes cités ont suscité l'indignation d'un des présents qui a voulu couper la parole à M. Bahloul. Sauf que l'intervention de Ghazi Boulila représentant de la BCT, est venue appuyer ces derniers propos. M. Boulila a réaffirmé la présence de signaux inquiétants et les risques de voir les problèmes s'aggraver encore plus. «J'ai peur», a-t-il affirmé trois fois de suite. Il a ajouté que la responsabilité des banques incombe au gouvernement et non à la BCT. Il a déploré l'ambiguïté qui règne par rapport au limogeage du gouverneur de la BCT. «Qu'ils le limogent une fois pour toutes ou qu'ils le laissent travailler!» a-t-il déclaré. Par ailleurs, il a affirmé que les enquêteurs de S&P n'ont pas trouvé de vis-à-vis qualifié auprès du gouvernement, capable de discuter des questions économiques et financières. Face à toutes ces difficultés et griefs évoqués, le rapport de la commission des experts ainsi que celui de S&P préconisent des recommandations, des solutions et des mesures que nous traiterons et analyserons à l'occasion d'un prochain article.