Depuis l'amorce d'un rapprochement entre le chef du parti Ennahdha et le leader de Nida Tounes, les déboires de Rached Ghannouchi et de Béji Caïd Essebsi ont commencé. Jusque-là, ils étaient les patrons incontestés de leurs clans et les attaques contre eux venaient toujours du front adverse. Mais dès lors que les deux hommes ont pris conscience que la crise politique dans le pays pouvait aboutir à des conséquences graves et qu'il était de leur devoir d'agir pour désamorcer cette crise et assumer leurs responsabilités en leurs qualités de dirigeants des deux formations politiques les plus influentes du pays, les attaques contre « les deux vieux » ont commencé à fuser de l'intérieur même de leurs camps, ce qui est inédit et symptomatique de l'état d'esprit qui prévaut au sein de nos partis politiques : il est plus facile et plus confortable de gérer la crise que de prendre le risque d'aller vers le consensus. Pourtant, il était évident dès le départ qu'il n'y avait que deux solutions possibles à la crise actuelle. La première est catastrophique pour le pays. Elle consiste à laisser la situation empirer et permettre à la crise d'atteindre son paroxysme. Le pays sera entré dans une logique de confrontation et de guerre civile dont l'issue est incertaine pour tous. Au contraire, tous les belligérants en sortiront affaiblis, usés et dépréciés aux yeux des Tunisiens qui les jugeront sévèrement de les avoir mis dans une situation de précarité économique et sécuritaire sans précédent. Quant à la seconde solution, elle est politique et consiste à chercher naturellement le consensus pour sortir de la crise. Or un consensus ne se négocie jamais entre copains mais face à des adversaires qu'on aurait souhaité éliminer mais qui s'avèrent malheureusement incontournables, ce qui est notre cas en Tunisie avec le parti Ennahdha du point de vue du clan des démocrates et le pari de Nida Tounes du point de vue des islamistes et de leurs alliés. L'avantage certain d'une telle solution négociée et d'éviter le pire et d'entretenir l'espoir d'un lendemain meilleur pour les populations et l'ensemble du pays. Cette logique consensuelle a bien été intégrée par les deux vieux d'Ennahdha et du Nida. Et ce n'est pas parce qu'ils sympathisent ensemble ou qu'il existe une quelconque affinité entre les deux hommes, loin s'en faut. Mais aussi bien Ghannouchi qu'Essebsi savent, par leurs expériences politiques accumulées, que parce qu'ils sont les leaders des deux partis locomotives, ils seront les premiers perdants si la gestion de la crise venait de leur échapper ou si la solution devait leur être imposée. En plus, au moment où leurs lieutenants respectifs s'affairent pour un positionnement interne ou une dimension nationale, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi scrutent l'horizon et se projettent dans l'histoire. C'est pourquoi ils sont tous les deux dans le pétrin, dans la même galère même. Aussi bien le chef des islamistes que le leader du Nidaa sont amenés maintenant à convaincre leurs lieutenants et leurs alliés de la nécessité non seulement du consensus mais aussi de la nécessité d'accepter de faire des concessions afin de préserver des intérêts plus stratégiques. En principe, ils n'auront pas trop de mal à convaincre de leurs points de vues. Bien entendu, il y aura des irréductibles récalcitrants dans les deux camps qui donneront de la voix sans aucune capacité de stopper le processus car isolés et esseulés par de subtiles manœuvres conduites par les deux patrons d'Ennahdha et du Nida. Par contre la grande difficulté qui se présente aujourd'hui face à eux, c'est de faire baisser la tension dans la rue entre les sympathisants des deux camps qui avaient, des mois durant, été chauffés à bloc et montés les uns contre les autres dans un objectif de démonstration de force ou d'une mobilisation pour une confrontation envisageable. Pour les sympathisants islamistes, des jeunes pour la plupart, Ghannouchi est déjà un mécréant, alors que pour les sympathisants du Front du salut, Essebsi est déjà le Juda du mouvement démocratique. Ont-ils totalement tort? Assurément pas. Ils sont mal informés, mal encadrés et leur âge ne leur permet pas d'apprécier facilement des solutions négociées, forcément moins attrayantes que leurs slogans et leurs schémas radicaux, révolutionnaires, dessinés au début de la crise. C'est pourquoi il ya un grand travail didactique à faire en urgence aujourd'hui en direction de ces jeunes pour qu'ils ne se sentent pas trahis encore une fois par leurs aînés, frustrés encore une fois de voir leurs rêves échangés par des solutions réalistes qu'ils ne partagent pas. Une campagne en direction de ces jeunes est nécessaire et urgente pour les convaincre que même si la solution de cette crise est négociée, le processus révolutionnaire continue. Et ce sont eux, les jeunes qui sont les garants de ce processus jusqu'à son aboutissement qui est la réalisation totale des objectifs de la révolution. Sans cet effort en direction de ces jeunes, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi n'auront pas fini de galérer d'autant plus que la rentrée scolaire et universitaire approche.