« Ennahdha est le plus grand parti de la Tunisie et le plus uni », avait soutenu Rached Ghannouchi, lors d'une visite à Washington le 27 février dernier. A l'heure où tiraillements, clashs et différentes sortes d'escarmouches sont devenues le pain quotidien de la scène politique nationale, le parti islamiste tire son épingle du jeu. En marge des guerres fratricides opposant des partis de l'opposition, les avocats et les magistrats et même les patrons de presse et le syndicat des journalistes, Ennahdha continue de mener sa campagne avec pour maître mot : ne jamais laver son linge sale en public. Une grande messe a été organisée samedi 8 mars par le mouvement Ennahdha en l'honneur de la femme tunisienne, à l'occasion de la journée internationale des droits de la femme. Un événement présidé par Rached Ghannouchi lui-même qui, avant d'attraper un vol vers Istanbul, a tenu à assister aux festivités à côté de ministres et députés d'Ennahdha et d'autres partis. Etaient notamment présents : Sihem Badi, Ridha Saïdi, Mohamed Ben Salem, Abdellatif Mekki, Karima Souid, etc. Rien que durant cette fin de semaine, Ennahdha a été présent, à la fois, dans plusieurs villes tunisiennes (Bizerte et Kasserine), mais aussi dans différents quartiers de la capitale (Hay Ettadhamen, El Alia, Rades, El Médina El Jadida), multipliant meetings populaires et actions de terrain. Si Ennahdha se défend de mener une quelconque campagne électorale avant l'heure, tout semble porter à y croire pourtant. Le dirigeant du parti et ancien ministre, Abdelkarim Harouni, a déclaré à l'agence TAP, que « les rencontres organisées par le mouvement dans les régions ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une campagne pré-électorale, mais qu'elles procèdent de la ferme conviction du mouvement de la nécessité d'établir un contact permanent avec le peuple et d'être à l'écoute de ses préoccupations ». Force est de reconnaitre que la différence est très mince entre les deux et que les actions de terrain, multipliées actuellement par Ennahdha, sont les prémices d'une campagne électorale prématurée. Aujourd'hui, Ennahdha mène de front sa campagne électorale profitant des tiraillements qui agitent la scène nationale et étant un des rares qui en sont épargnés. Sans doute, raison pour laquelle le parti préfère ne pas aborder pour l'instant la question des alliances électorales, déléguée au Majliss El Choura. Une question jugée prématurée pour l'instant, en attendant que tout se calme. Au cœur de la scène politique, c'est la loi du Talion qui prévaut. Rien ne va plus entre Nidaa Tounes et Al Joumhouri, deux anciens alliés du Front du Salut, pourtant appartenant à la même mouvance politique et ayant projeté, il y a quelques mois déjà, de se présenter aux législatives sous la même bannière. Alors que les relations entre les deux partis étaient déjà assez tendues, une incompatibilité d'humeurs entre les deux leaders, Béji Caïd Essebsi et Ahmed Néjib Chebbi, a mis le feu aux poudres. Al Joumhouri a claqué la porte du Front du salut, après avoir été exclu de la dernière réunion devant décider de la date d'anniversaire des manifestations du Bardo, et il a préféré faire cavalier seul. Idem pour les frères ennemis de la justice. En effet, avocats et magistrats, s'affrontent depuis le mois de février suite à l'agression du juge d'instruction du 5ème bureau du tribunal de première instance de Tunis par des avocats en manifestation contre un mandat émis contre une des leurs. Même le secteur des médias n'est pas épargné et le torchon brule entre patrons de presse et syndicat des journalistes suite à l'émission du rapport de « la déontologie du métier et les pratiques journalistiques ». Force est de reconnaitre que Rached Ghannouchi a bien eu raison de qualifier Ennahdha de parti le plus uni de la scène politique. Les tiraillements, bien qu'ils existent au sein du parti, sont gérés dans la discrétion et ne remontent presque jamais à la surface. On se rappellera certainement du geste de Hamadi Jebali, qui court embrasser le front du leader Ghannouchi, après avoir prononcé un discours dans lequel il a désavoué son mouvement. Le parti islamiste reste bien soudé malgré les tensions dues à l'exercice du pouvoir et rares sont les fausses notes qui trahissent une quelconque désunion. A l'heure actuelle, Ennahdha organise en grandes pompes son premier référendum, les 28, 29 et 30 mars 2014. Un événement de grande envergure auquel participeront tous les adhérents du parti, à l'échelle nationale, et qui devra décider si la date du prochain congrès du parti devra se tenir avant ou après les prochaines élections législatives et présidentielle. Une manière d'engager tous ses adhérents, même peu actifs, à cet événement national et de faire passer le message que le parti Ennahdha est un parti démocratique. Comme d'habitude, Rached Ghannouchi profite de son prêche du vendredi pour faire glisser des messages politiques à l'adresse des partisans du mouvement. Cette semaine, lors de son discours hebdomadaire, le leader d'Ennahdha, a déclaré à l'adresse de ses auditeurs : « Nous sommes porteurs d'un message, celui de sauver l'humanité toute entière ». En prônant la « daâwa » [prosélytisme] il dit : « Ne laissons pas la politique nous éloigner du message que nous avons à délivrer », appelant ainsi les Tunisiens à profiter de chaque occasion pour propager un message religieux autour d'eux. Des tiraillements politiques, le parti islamiste n'en semble pas pour le moins ébranlé et continue à propager son message. Ennahdha a-t-il toutes les chances de remporter les prochaines élections en profitant du climat actuel ? Cela nous ramène à un temps, pas très éloigné, où à la veille des élections du 23 octobre, le même Rached Ghannouchi a déclaré qu'Ennahdha sera le parti vainqueur des élections de la Constituante. Et il n'avait pas tort à l'époque. Sa carte gagnante aujourd'hui, garder ses cadavres bien enfermés dans leurs placards…