Nous sommes à J-6 du deuxième tour de la présidentielle. La tension n'est pas à son comble, heureusement, et on n'enregistre pas d'agressions physiques, comme cela pourrait se voir ailleurs. Juste des agressions verbales et des intimidations pour les journalistes. Ce climat relativement bon enfant (je dis bien relativement) est déjà une victoire en soi pour notre démocratie naissante. En l'absence de publication officielle des sondages, à cause d'un code électoral dénué, par endroits, de pragmatisme, chacun des deux camps finalistes prétend être en meilleure position que l'autre. Il en y a certainement un qui se trompe ou qui trompe. Pour ma part, mon oracle n'a pas changé depuis des années et s'appelle Hassen Zargouni. Depuis quelque temps, le patron de l'agence Sigma n'a donné que de bonnes nouvelles et cela se poursuit jusqu'à cette semaine. N'empêche, on ne doit pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir achevé. Faute, donc, de publication officielle de sondages, les deux camps alimentent le suspense et poussent leurs fans à militer davantage. Et ce suspense est aussi une victoire. Il y a, à peine, quatre ans, on ne pouvait même pas rêver d'une telle ferveur électorale. Dans les démocraties avancées, cette période électorale a ses traditions. Le débat télévisé d'entre les deux tours en est une. Ce débat, nous ne l'aurons pas, vu que Béji Caïd Essebsi refuse de se mettre en face de son adversaire car voyant, en lui, une personne totalement irrespectueuse de son actuel poste et de son concurrent politique. M. Caïd Essebsi rappelle le scrutin français de 2002 quand Jacques Chirac a refusé le débat face à Jean-Marie Le Pen, plaçant ainsi Moncef Marzouki dans la peau de l'extrémiste. Plusieurs faits et déclarations prouvent que le président sortant a atteint, à plus d'une occurrence, les extrêmes, mais il se trouve qu'il y a des adeptes qui continuent à voir en lui un démocrate. Comment débattre avec quelqu'un qui dénigre ses adversaires politiques à l'étranger ? Comment débattre avec un intellectuel qui use du verbiage terroriste et traite son adversaire de « taghout » ? Comment oublier que les membres du CPR, parti de Marzouki, refusaient d'être présents sur un même plateau télé que des membres de Nidaa ? Comment oublier que ces mêmes CPR ont refusé le dialogue national et ont tout mis en œuvre pour essayer de faire voter une loi de l'exclusion politique, afin d'éliminer certains de leurs adversaires ? Et puis surtout, comment oublier que des personnes proches du CPR étaient impliquées dans le lynchage de feu Lotfi Nagdh, dirigeant régional de Nidaa Tounes ? C'était en octobre 2012. Soit Moncef Marzouki est naïf, soit il prend les autres pour des naïfs. Il passe, en effet, du dénigrement au semblant de respect, de l'incorrection face aux règles du jeu de l'adversité politique à la rigueur quant aux pratiques démocratiques dont la confrontation pourrait faire partie. Après tout cet historique, il est difficile d'avoir un face à face civilisé donnant une bonne image du jeu démocratique. Il aurait fallu que les règles du jeu soient respectées dès le départ pour que l'on aboutisse à duel télévisé. La position tranchée de Béji Caïd Essebsi concernant Moncef Marzouki n'est pas nouvelle. Elle n'est, surtout, pas exclusive. Nombreuses, très nombreuses, sont les personnes qui vont voter BCE dimanche prochain, sans grande conviction. Comment, d'ailleurs, voter avec conviction pour un octogénaire quand on n'a que vingt ans ? Mais entre un octogénaire qui a réussi à créer un parti et à devenir LE rempart contre les obscurantistes, en à peine deux ans, et un « droit de l'hommiste » qui a accumulé les déboires en trois ans, le choix est vite fait ! Regardez le paysage politique actuel, observez ceux qui ont appelé à voter Marzouki et vous comprendrez davantage l'importance et la nature de sa popularité. De la classe politique, vous verrez surtout autour de lui des personnes réputées pour au moins un acte de violence verbale ou pour un antécédent peu glorieux. Lazhar Bali, du parti Amen qui, soit dit en passant, a avoué sur un plateau le soutenir mais aussi ne pas l'aimer, Samia Abbou, l'épouse-députée qui échappe encore à la justice sous prétexte d'immunité, Abderraouf Ayadi qui ne respecte pas le drapeau national et Riadh Chaïbi qui a promis de nous faire éjecter de la Tunisie si le camp dit « révolutionnaire » échouait. A part ça ? Personne d'autre d'important ! Même ses « amis » de la troïka ne l'ont pas soutenu. Ils ont préféré adopter une position de fausse neutralité. Que les fans de Marzouki s'interrogent pourquoi Ennahdha et Ettaktol ne soutiennent pas leur candidat ? Pourquoi les plus grands militants ne le soutiennent-ils pas ? Les Ahmed Néjib Chebbi, Ahmed Brahim, Hamma Hammami, Samir Dilou, Ali Ben Salem, Souhir Ben Hassen, Bochra Belhadj Hmida et j'en passe, aucun d'eux n'a appelé à voter Marzouki. Pourquoi ce candidat, à l'historique « glorieux » n'a pas la faveur de ses amis d'hier de l'extrême gauche, de la gauche modérée et de la gauche tout court ? Même ses amis du centre et de la droite l'ont délaissé ! Il est insupportable, pour eux, de voir Marzouki rester à Carthage entouré au palais de ses Tarek Kahlaoui, Sihem Badi, Slim Ben Hmidène, Abdelwaheb Maâtar ou Samir Ben Amor. Non, la Tunisie mérite nettement mieux qu'une complaisance de cette espèce à la tête de l'Etat. Les Tunisiens méritent d'être représentés par la compétence et non par l'opportunisme et ses figures désormais connues ! Qu'on dise des médias qu'ils sont manipulateurs, vendus et corrompus. Qu'on dise de la société civile qu'elle a des agendas et qu'elle travaille pour des lobbyistes, qu'on dise qu'on est aveugles et frappés du syndrome de Stockholm, mais que l'on ne taxe pas, SVP, les militants nommés ci-dessus, de ces accusations. Il s'agit de personnes dont le patriotisme et l'amour pour la liberté, ne souffrent d'aucun doute, en dépit de toutes les erreurs qu'elles pourraient avoir commises ces dernières années. Oui, il faut le dire clairement et ne pas avoir honte de le faire: ne pas voter Moncef Marzouki est un acte patriotique. Le vote est une responsabilité. Alors, aussi minime que puisse paraître une voix parmi des millions, faites en sorte, le 21 décembre, de ne pas la donner à celui qui ne la mérite pas !