Le chef du gouvernement, Habib Essid, a enfin passé son premier grand oral en compagnie du journaliste Hamza Belloumi. C'était hier, dans la soirée du 21 mai 2015, que le chef du gouvernement a accordé sa première interview à une télévision tunisienne. Comme celui de l'action de son gouvernement pendant ses 100 premiers, le bilan de cette prestation est mitigé. Habib Essid a abordé plusieurs sujets lors de cette interview avec Hamza Belloumi. Globalement, sa prestation n'a pas été satisfaisante car le chef du gouvernement n'a approfondi aucun des sujets traités et l'aspect « politicien » a pris le dessus dans ses réponses. Il a donné l'impression que son objectif premier était de ne pas se compromettre et de donner une interview lisse qui ne ferait pas de remous. Le chef du gouvernement a d'abord dû répondre à la déception des Tunisiens vis-à-vis de ses 100 premiers jours à la Kasbah. Hamza Belloumi lui a cité plusieurs exemples illustrant cette déception comme la situation économique, la cherté de la vie et même l'état de saleté de plusieurs villes tunisiennes. Habib Essid a alors brandi la fameuse métaphore du verre à moitié vide en assurant que des progrès sont faits dans plusieurs secteurs en ajoutant qu'il y a des programmes et des plans mis en place pour remédier à tout cela, reprenant ainsi la rhétorique usée de plusieurs de ses prédécesseurs en disant en gros : « ça va de mieux en mieux mais vous ne le voyez pas ». Ensuite, le chef du gouvernement a déclaré qu'une période de 100 jours est une durée beaucoup trop courte pour faire un bilan de l'action gouvernementale. Il a ajouté que, cependant, une évaluation continue était en place au sein même du gouvernement. Il dira après qu'il est satisfait du rendement de sa propre équipe pendant ses 100 premiers jours d'activité. « Je savais qu'on ne ferait pas beaucoup durant cette période » a-t-il ensuite déclaré. Concernant l'évaluation de sa propre équipe gouvernementale, Habib Essid a déclaré que 95% de ses ministres ont été à la hauteur de leurs tâches, confirmant par la même que 5% de son équipe ne donnait pas satisfaction. Allant plus loin dans le détail, le chef du gouvernement a évoqué le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, en qualifiant son rendement de « normal ». Il a ajouté qu'il s'agissait d'un nouveau gouvernement et qu'il est normal qu'il y ait certains « difficultés ». Sans le dire ouvertement, Habib Essid fait ainsi référence à certaines déclarations malencontreuses de son ministre qui avaient fait la polémique. Il a, cependant, relativisé en disant qu'il n'y avait aucun problème entre lui et son ministre. Habib Essid a ensuite donné son satisfecit à son ministre de l'Intérieur, Nejem Gharsalli, qui avait pourtant été fortement contesté à sa nomination à ce poste. Il a ajouté que le ministre avait « fait son devoir ». Pareil pour le ministre de la Défense dont le rendement a été bon avec une coordination étroite avec le ministre de l'Intérieur. Pour Habib Essid, même s'il a été contesté à sa nomination, le ministre de la Défense a fait ce qu'il fallait. Une manière pour le chef du gouvernement de dire que les ministres qu'il avait choisi et qui avaient pourtant été contestés, s'en sont bien sortis, ce qui démontre la pertinence de ses choix. Par la suite, le chef du gouvernement a mis un terme aux rumeurs évoquant un remaniement ministériel au bout de ses 100 jours. Ainsi, il a assuré que la question n'était pas d'actualité même si la Constitution lui donne le droit d'effectuer des changements s'il le jugeait opportun. « Quand la situation l'exigera, je ferai les changements nécessaires » a-t-il assuré. Concernant l'insatisfaction de la population vis-à-vis de son gouvernement, Habib Essid a évoqué la nécessité d'être patient et de travailler encore plus pour redresser le pays. C'est une idée qui reviendra à plusieurs reprises lors de l'interview principalement quand Hamza Belloumi évoquera la recrudescence du nombre de grèves ainsi que les contestations sociales dans le pays. « Changer les choses n'est pas facile, on est le cinquième gouvernement depuis la révolution donc il n'ya pas de continuité dans le travail de sorte à donner des résultats visibles » a-t-il argumenté. Hamza Belloumi a ensuite transmis au chef du gouvernement les reproches formulés par certains observateurs concernant son manque de fermeté dans la direction des affaires du pays. Il a répondu à cela en disant que ces reproches viennent de personnes qui ne le connaissent pas de près. « Dans la direction des affaires du pays, je suis ferme ! ». Il a ajouté qu'on lui reprochait plutôt un excès dans la fermeté. Habib Essid a mis l'accent, encore une fois, sur la nécessité de donner le temps à ce gouvernement de faire ses preuves en évoquant les contestations sociales et les grèves. « La durée sur laquelle on peut évaluer un gouvernement est au moins d'un an. On ne peut pas juger un gouvernement en trois mois » a-t-il argumenté. Il ajoute ensuite : « Si au bout d'un an, les choses ne s'améliorent pas, il y a d'autres solutions que je pourrais employer ». Le chef du gouvernement a par la suite évoqué certains points de l'action gouvernementale. Il a précisé que la cherté de la vie reste maitrisée puisque l'action de son gouvernement aura, au moins, permis que les prix restent stables et n'augmentent pas et qu'il y a même eu des baisses. Pour ce qui est des projets de développement, Habib Essid a assuré qu'il y avait un manque de moyens de l'Etat couplé à une certaine incapacité dans la mise en place de projets décidés antérieurement. Il a également évoqué l'attribution de budgets aux régions en disant : « En arrivant, nous avons trouvé des chiffres effarants concernant des budgets attribués aux régions et non consommés ». La mise en place de projets est obstruée par l'incapacité de l'administration dans certains cas mais aussi par les grèves et les contestations dans d'autres cas. Il ya aussi des problèmes structurels dans certains régions comme le manque de cadres, le manque d'entrepreneurs pouvant prendre en charge les projets. La situation économique est difficile et on vit une crise, de l'aveu du chef du gouvernement. Mais il relativise en disant que la situation était pire en 2011 avec une croissance négative. Il a justifié les prêts contractés par les gouvernements précédents par le fait qu'il y a des dépenses de l'Etat qui devaient être couvertes de toutes manières. Au niveau politique, tout va bien pour Habib Essid. Ses relations avec Béji Caïd Essebsi sont au beau fixe et il jouit de sa confiance absolue. Il a également tenu à préciser qu'il ne recevait pas d'instructions venant de Carthage mais qu'il y avait un dialogue continu entre les deux hommes à propos des affaires du pays. Pour ce qui est de sa relation avec les partis au pouvoir, Habib Essid a tenu à se démarquer de l'expérience de la troïka. En effet, il a insisté sur le fait qu'il était indépendant et qu'il n'était encarté dans aucun parti contrairement à la troïka où le chef du gouvernement était l'un des membres du parti Ennahdha. Ainsi, Habib Essid assure qu'il n'y a aucune interférence entre le travail gouvernemental et le travail parlementaire. Cette interview donnée par le chef du gouvernement a démontré, d'abord, que ce n'était un exercice aisé pour le chef du gouvernement. En effet, la communication ne semble pas faire partie des priorités de Habib Essid qui préfère, selon ses dires, travailler en silence. Le deuxième enseignement de cette interview est que le chef du gouvernement demande à avoir plus de temps pour travailler et pour faire ses preuves en rejetant la pertinence d'une évaluation de son gouvernement au bout de 100 jours. Le troisième enseignement est que le chef du gouvernement est un homme de dossiers qui se sent plus à l'aise dans les dossiers économiques plutôt que dans les relations politico-politiciennes, sujet où il préfère mettre en avant une parfaite harmonie.