Les Journées cinématographiques de Carthage sont placées sous le signe du mauvais goût cette année. Des défilés de starlettes, indignes de fouler le tapis rouge, gonflées au botox et affichant des décolletés vertigineux dans des robes qui feraient grincer les dents de Christina Cordula. Le chômage bat son plein, le terrorisme partage la tête d'affiche avec la crise économique et ces sans-gêne osent se pavaner dans des tenues hors de prix, maquillées comme des camions volés et exhibant, au nez de tous, des poitrines tellement généreuses qu'elles provoqueraient la colère de Daech et feraient descendre de leurs montagnes des terroristes aussi sanguinaires que sexuellement frustrés. Cette cérémonie est une honte et tout cet étalage est scandaleux. Comment avons-nous pu descendre aussi bas ? Rassurez-vous ces mots ne sont certainement pas de moi, mais de centaines (voire plus) d'internautes commentant les photos de la cérémonie d'ouverture des journées cinématographiques de Carthage. De quoi oublier que cet événement culturel, puisque c'est bien de culture qu'il s'agit, est le grand rassemblement de l'année des artistes de la scène tunisienne, et bien plus encore, autour du peu de cinéma qui nous reste encore aujourd'hui. Au milieu des robes à froufrous, des tenues transparentes et des rouges à lèvre clinquants, on expose des œuvres cinématographiques qui feront le bonheur de Tunisiens venus de tous les coins du pays pour renouer avec un art qui se fait de plus en plus rare sur nos terres. En dehors de ce festival, le cinéma tunisien est devenu aujourd'hui synonyme de salles vides et malodorantes où on profite de l'obscurité pour se bécoter et où les prix des billets, pourtant dérisoires, ne réussissent plus à attirer un public un minimum intéressé par les œuvres qu'on lui sert.
En cet an 26 après JCC (expression qui n'est pas la mienne mais de l'excellent Moncef Dhouib), on se préoccupe plus de savoir qui porte quoi que des œuvres affichées au programme et pourtant on y retrouve le fleuron de l'industrie cinématographique locale. La crème des réalisations tunisiennes y est présentée chaque année, en avant-première. Sur la toile pourtant, et même dans certains médias, on voit plus de décolletés que d'affiches de films. C'est pourtant en cette période de l'année que les petits cinémas de quartier reprennent du service, que les toiles des vieux établissements sont dépoussiérées et qu'une nouvelle dynamique culturelle est observée dans plusieurs coins du pays. Les profanes sont initiés et les amateurs s'extasient devant des œuvres qu'on ne peut voir que sur grand écran.
Mais est-ce le moment de jouer aux intellectuels de la 25ème heure alors que le pays est au plus bas ? Alors que les jeunes diplômés ne trouvent pas de travail, malgré leurs longues études, que le salarié moyen peine à joindre les deux bouts et que la tête du pauvre Mabrouk Soltani (paix à son âme) est livrée à sa famille dans un morceau de tissu, les ingrats que nous sommes osent s'offrir le luxe de s'extasier devant des œuvres consacrant la débauche et où des acteurs sans morale laissent libre cours à leurs pulsions.
Dans des villes comme Paris, frappées de plein fouet par le terrorisme, on répond à l'horreur par un grand élan artistique international. Chez nous, en revanche, on refuse de faire son deuil avec la culture. Alors que les rues parisiennes ont été tapissées de fleurs et de bougies, que des cercueils ont été décorés par des artistes et que des dessins et des chansons ont rendu un vibrant hommage aux victimes, en Tunisie on préfère se complaire dans l'horreur. Des attentats de Sousse et du Bardo, on ne retiendra que les corps ensanglantés jonchant les bords d'une piscine, le sable d'une plage ou les mosaïques d'un musée.
Pour ceux qui se posent encore la question, la réponse est un grand oui ! Oui la culture peut être une excellente réponse à l'horreur. Oui le cinéma peut être une réponse à la pauvreté, au terrorisme et à la crise. Face à la morosité ambiante, aux luttes intestines des politiques, aux bas calculs, à la vie chère, à la pauvreté et au terrorisme, la culture est une excellente réponse. Pour que la vie puisse reprendre ses droits, pour que les vivants puissent garder espoir…