Depuis trois jours, Ben Guerdène est le théâtre d'affrontements violents entre nos forces armées et des éléments terroristes. La petite ville frontalière est à feu et à sang et on déplore 19 morts entre sécuritaires et civils. L'attaque est qualifiée d'inédite et il s'agit en effet d'une première de ce genre en Tunisie : des terroristes attaquant dans l'intention d'instaurer un émirat daechien sur notre sol. Comment on est arrivé là ? On peut bien évidemment invoquer la situation dans la région, avec une Libye voisine en pleine déconfiture et en butte à la prolifération des organisations terroristes, outre les enjeux géostratégiques, au centre desquels la Tunisie tente peu ou prou de garder la tête à flot. Ces enjeux régionaux, ne sont, bien sûr, pas étrangers à la multiplication d'actes terroristes sur notre territoire ou à l'instabilité sécuritaire à laquelle on fait face. Mais il est de ces facteurs, tuniso-tunisiens, (quoique toujours en lien avec ces enjeux, notre pays n'étant pas isolé des tractations mondiales), qui ont favorisé, voire participé à la montée en puissance des radicaux religieux, préparant le terrain à l'endoctrinement de milliers de jeunes qui rejoindront les groupes terroristes. N'oublions pas les plus de 5000 jihadistes tunisiens combattant en Syrie, Irak ou Libye.
Dès l'entrée au pouvoir d'Ennhdha en Tunisie, le pays a connu une phase de son histoire marquée par une islamisation rampante de la société. Premier parti de Tunisie, le mouvement s'est attelé à diffuser son idéologie de l'islam politique. Les mosquées ont été occupées de forces par des imams extrémistes prêchant le retour à la Charia islamique et diffusant des messages de haine envers les laïques. Des débordements ont vite été enregistrés. Le religieux s'est imbriqué avec le politique et on en arrivait à dénigrer tel opposant politique ou carrément à le déclarer impie. Des appels au meurtre sont même proférés. On envahit l'espace public, on pose des tentes de prêche devant lycées et collèges, sous le regard bienveillant des autorités. L'opération d'endoctrinement était en marche…
A partir de 2012, responsables sécuritaires, société civiles et dirigeants politiques ont commencé à tirer la sonnette d'alarme quant à cette montée en puissance des mouvances radicales et le risque que cela pourrait engendrer. Ces mises en garde sont tombées dans une oreille sourde, ou plutôt qui feint la surdité. Rached Ghannouchi chef d'Ennahdha nous expliquait combien « ses enfants » salafistes lui rappelaient sa jeunesse et comment ils «cherchent à promouvoir une nouvelle culture». Toujours courant 2012, on découvrira une vidéo de sa rencontre avec une délégation de salafistes, où il invoque l'expérience algérienne et demande aux troupes de patienter et de procéder par étapes avant de mettre en place le projet islamique. C'est que, disait Ghannouchi, ni les médias, ni l'appareil sécuritaire et militaire, ni l'administration en Tunisie ne leur sont acquis…
On se rappellera également de l'afflux en Tunisie des prédicateurs étrangers, venant véhiculer les idées intégristes dans le pur jus wahhabite. Des séries de conférences sont organisées partout en Tunisie et on assiste à des meetings des plus surréalistes, où l'obscurantisme se le disputait au radicalisme. Pour accueillir ces personnalités nous venant d'autres cieux, prônant entre autres l'instauration de la charia et l'excision des petites filles, des dirigeants d'Ennahdha ou du CPR sont au rendez-vous.
Mais ce n'était que le début. Toujours en cette année 2012, on commençait à s'inquiéter de la présence de jihadistes dans les hauteurs ouest du pays, en l'occurrence au Mont Chaâmbi. A ces inquiétudes, Khaled Tarrouche, alors porte-parole du ministère de l'Intérieur, nous rétorquait que ce ne sont que des sportifs qui éliminent leur cholestérol. Nous connaissons tous la suite de l'histoire. Les dirigeants d'Ennadha montent au créneau et crient à la persécution. On nous ressort la carte de la victimisation. On entendait partout : « Avant l'épouvantail était Ennahdha, maintenant l'épouvantail se sont les mouvances salafistes, mais il n'est pas question qu'on entre en confrontation avec ces mouvances… ».
C'est ainsi que l'avenue Habib Bourguiba, en plein cœur de Tunis, a connu une grande manifestation des salafistes pour l'instauration de la charia ou encore du grand rassemblement à Kairouan d'Ansar Charia, depuis classée organisation terroriste, après l'attaque contre l'ambassade US… Abou Iyadh comptait parmi ses invités Chourou et Ellouz d'Ennahdha ou Abderraouf Ayadi du CPR. Suite aux événements de l'ambassade US, Ali Laârayedh laisse filer ce même Abou Iyadh, devenu ennemi public n°1. Il était encerclé par les forces de l'ordre à la mosquée El Fath, l'ordre attendu de l'arrêter n'est pas venu du ministre de l'Intérieur et le chef d'Ansar Charia a pu être exfiltré vers la Libye sans être inquiété.
On n'oubliera pas les propos de Sihem Ben Sedrine sur les conteneurs de barbes artificielles qui seraient en rapport direct avec les centres d'intelligences étrangers voulant nuire à l'intérêt du pays. Point de menace terroriste selon elle. On en revient à notre épouvantail ! On se rappellera du président de la République, Moncef Marzouki, recevant au palais de Carthage, les prédicateurs extrémistes de la place et les radicaux de tous genres. On se rappellera des milliers de jeunes endoctrinés qui ont pu quitter le pays pour rejoindre les jihadistes en Syrie, toujours sans être inquiétés et même encouragés par les imams. On n'oubliera pas la députée Samia Abbou qui affirmait que tout ce qui se passait en Tunisie est une tentative de terroriser les Tunisiens et qu'il n'y pas de Daech dans le pays. Pour ces politiques le terrorisme n'était rien d'autre qu'un épouvantail…
Sauf que cet épouvantail s'est révélé au final un monstre qui voulait dévorer la Tunisie, l'écarteler et la faire plier. Les assassinats de Chokri Belaid, de Mohamed Brahmi, de dizaine de nos valeureux soldats et les multiples attentats, dont le dernier celui de Ben Guerdène, n'ont pas fini de meurtrir la Tunisie.
Avec l'avènement d'un nouveau pouvoir en 2015, et de Nidaa Tounes, une bonne frange de la société croyait dur comme fer que la situation sécuritaire irait en s'améliorant. Surtout que Nidaa s'est posé comme étant l'un des plus farouches adversaires du mouvement islamiste Ennahdha. Mais Nidaa et Ennahdha ont fait ami-ami et tout le reste ou presque a été relégué aux oubliettes. Le terrorisme n'aurait pas été provisoire.