Le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, est revenu, dans une interview accordée au Huffington Post Arabic, le 2 avril 2016, sur nombreux dossiers brulants relatifs à son parti, sa personne et sa relation avec le président de la République, Béji Caïd Essebssi. Interrogé sur un éventuel changement de statut à l'issue du 10ème congrès du parti, prévu dans quelques semaines, Rached Ghannouchi a affirmé qu'Ennahdha est un parti politique civil démocrate, né par réaction à un régime totalitaire qui marginalisait l'identité et l'appartenance musulmane de la Tunisie, d'où sa vocation de prédication. Il a estimé que la constitution de 2014 a tranché sur la question en établissant dans son premier article que la Tunisie est un pays libre et indépendant qui a pour langue l'arabe et pour religion l'islam et que les débats identitaires n'ont, de ce fait, plus lieu d'être. « Cela étant, il est aussi stipulé dans la constitution, que la religion doit être séparée de l'activité politique, nous avons donc opté pour la politique inspirée de l'idée selon laquelle l'islam et la démocratie vont de pair. Nous sommes dans le courant de l'islam démocrate et nous ne sommes pas les seuls d'ailleurs, il y a dans le monde des partis prestigieux qui ont pour repère la religion, dont des partis catholiques par exemple » a ajouté le leader.
Rached Ghannouchi a, par ailleurs, précisé que les peurs de certains quant à la transformation d'Ennahdha en parti laïc, ne sont pas justifiées dans la mesure où il continuera à avoir pour premier repère l'identité de la Tunisie stipulée par la constitution. Il a affirmé que les accusations à son encontre de tenir un double discours, font partie d'un business politique pratiqué par des parties qui ont peur, face à l'entrée dans les pratiques démocratiques d'Ennahdha, de perdre tout argument valable pour lui mener la guerre. « Le Front populaire, qui nous accuse à tout va d'actes terroristes, a perdu face à nous en 2011 et en 2014. Ils acceptaient, néanmoins, de dialoguer avec nous ce qui n'est plus le cas maintenant, ils sont dans une nouvelle politique où ils évitent tout évènement dans lequel nous sommes… Nous sommes toutefois prêts à nous allier avec tout parti politique qui travaille dans le cadre de la constitution, dont le FP et le parti de Mohsen Marzouk, nous n'écartons personne » a-t-il ajouté.
Le président d'Ennahdha a aussi été questionné sur les raisons de l'éviction de figures « radicales » à l'instar de l'ancien ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khadmi et de Habib Ellouze. Il a indiqué, à ce propos, que l'ancien ministre est une personnalité indépendante et que Habib Ellouze a choisi de ne pas se présenter aux élections parlementaires de 2014 et s'est éloigné des projecteurs.
Rached Ghannouchi a, par ailleurs, estimé que certaines parties de gauche, utilisent un « disque rayé » pour instrumentaliser le terrorisme contre leurs adversaires politiques et notamment les assassinats de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi pour acculer Ennahdha, « se servant du sang de ces deux martyrs pour réaliser des acquis politiques » alors que le parti est le plus « grand perdant dans cette affaire ». « Je les appelle à arrêter cela ! Dans la division ils servent les intérêts des terroristes. Oui nous avons tenté de dialoguer avec les courants salafistes à une époque, nous avons voulu les convaincre que la révolution permet à tous d'exercer dans la politique et dans le social dans le cadre de la loi, nous les avions prévenu de ne pas défier l'Etat. Il y en a que nous sommes arrivés à convaincre et la preuve c'est la participation de deux partis affiliés au courant salafiste aux élections, les autres en revanche, nous leur avons déclaré la guerre à partir de 2013 » a-t-il indiqué.
Quant à la déclaration du président de la République, Béji Caïd Essebssi, accusant l'islam politique d'être responsable de la détérioration de la situation économique et sécuritaire du pays, Rached Ghannouchi a répondu que les relations avec le chef de l'Etat sont fortes et solides et ne dépendent pas d'une déclaration. Il a souligné que cette conjoncture est prévisible après une révolution et que depuis un an déjà qu'un nouveau pouvoir est en place, les choses n'ont pas encore changé. « Ce n'est pas la faute aux deux ans de gouvernement d'Ennahdha, mais à des problèmes structurels profonds qui ont duré pendant des décennies et qui nécessitent des réformes majeures et un nouveau modèle de développement basé sur l'encouragement de l'initiative privée et la suppression des obstacles administratifs ainsi qu'une discrimination positive en faveur des régions » a-t-il argué.
Le leader islamiste a aussi souligné que ceux qui disent que c'est lui qui commande dans les coulisses ont tout faux et n'ont aucun respect pour les trois présidents en place et leur gouvernement. « Notre priorité n'est pas de nous cacher dans les coulisses mais de préserver et de réaliser la stabilité de notre pays même si cela se fait à nos dépens » a précisé Rached Ghannouchi, « les postes ne nous intéressent pas et j'ai exhorté mes compagnons en 2013 d'abandonner le pouvoir pour préserver le pays en leur disant que nous allions perdre les postes mais gagner la Tunisie et que le pays était plus cher que le pouvoir. Comme le dit Béji Caïd Essebssi, la patrie avant les partis » a-t-il ajouté.
Rached Ghannouchi est revenu par la suite sur la situation en Egypte, soulignant la nécessité du dialogue, du consensus et des compromis « avant que le toit ne s'effondre sur tous ». Il a aussi indiqué, par rapport aux mauvaises relations qu'il semble entretenir avec les Emirats Arabes Unis, que la révolution tunisienne est une révolution locale et non exportable et qu'Ennahdha souhaite construire de bonnes relations avec tous ses frères du Maghreb et du Golfe, « si il y a des malentendus il faut les arranger par le dialogue et en Tunisie nous sommes unanimes, nous ne nous ingérons pas dans les affaires d'autres pays autant que nous refusons que d'autres s'ingèrent dans les nôtres » a-t-il déclaré.
Dans un autre contexte, le président d'Ennahdha, est revenu sur sa déclaration relative à l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali et à sa famille, soulignant que leur garantir leurs droits ne signifie pas l'impunité et que si l'ancien président a commis des crimes à l'encontre du peuple tunisien, cela ne veut pas dire qu'il faut punir tous les membres de sa famille et leur ôter leurs droits de citoyens en leur refusant le droit légitime de posséder un passeport. « Nous voulons construire un Etat de droit et non un Etat vindicatif » a-t-il ajouté.