Ramadan est, du moins dans les préceptes,est le mois de la piété, de la retenue et de la spiritualité. Dans nos contrées, ce mois est le théâtre de tous les excès, de toutes les incivilités et le paroxysme de toute l'hypocrisie qu'il est possible d'observer. Comme à chaque mois de Ramadan, la Tunisie change de rythme et de visage. Nous n'allons pas dans ce papier nous attarder sur le manque de productivité qu'engendre ce mois saint, ni sur le lâchage de nerfs sur les voies publiques. Des phénomènes justifiés aux yeux de ceux qui profitent de cette aubaine pour exprimer toute leur violence et leur frustration. Dans ce papier nous allons aborder un autre fait, récurrent, de plus en plus perceptible depuis l'avènement de la révolution, qu'est le calvaire des non-jeûneurs, ces « pêcheurs » qui doivent se cacher afin de ne pas offusquer ceux dont la foi vacille à la moindre vue d'une cigarette ou d'une tasse de café ou de ceux qui s'érigent en gardiens de la religion et du sacré.
Déjà l'année dernière, des agressions et des fermetures de cafés ouverts ont fait la Une des journaux. Nombreuses questions ont été soulevées sur le caractère légal ou illégal de ces fermetures, alors que le nombre de cafés et de restaurants ouverts pendant le Ramadan, baisse considérablement. Le ministère de l'Intérieur avait alors expliqué qu'aucun café ne peut rester ouvert pendant la période de ramadan en dehors des zones touristiques et commerciales identifiées par le ministère dans une circulaire transmise aux mairies. « Nous respectons la liberté ou non de jeûner, mais il y a des mesures spécifiques durant le ramadan qui sont prises pour respecter nos concitoyens», avait-il souligné.Des mesures spécifiques qui ont aussi été appliquées cette année, notamment dans un café au Lac, qui a omis de couvrir ses vitrines « et ses clients ». Ces fermetures forcées ont souvent pour argument la garantie de la sécurité pour les clients et les restaurateurs contre d'éventuelles « interventions »des « gardiens des bonnes mœurs et de la moralité », ils restent néanmoins aux yeux de ceux qui les subissent une atteinte aux libertés personnelles pourtant garanties par la constitution tunisienne.
En effet, dès son article 1er, reprenant celui de la Constitution de 1959, il est stipulé que«l'islam est (la) religion» de l'Etat et que «l'arabe sa langue». Il est toutefois affirmé dans l'article suivant que «la Tunisie est un Etat à caractère civil». Et que l'article 6 «garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes». L'article 21 sur les droits et les libertés précise que « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination. L'Etat garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs », et pourtant, il ne fait pas beau être non-jeûneur en Tunisie et les pouvoirs publics, fébriles, semblent avoir du mal à trancher sur la question et sur la définition de ce qui est « sacré ». Il est vrai que la virulence des « gardiens de la moralité » peut faire peur aux restaurateurs, et d'ailleurs rares sont ceux qui ouvrent leurs locaux, aux Tunisiens de surcroit. Ceux-là s'exposent à des réactions de la part de fanatiques saisonniers, à l'instar du restaurant « Le palais » à Tozeur dont l'ouverture a suscité la colère de certains riverains qui ont exprimé leur mécontentement en brûlant des pneus et appelé les autorités à fermer l'endroit.
Le président du parti radical « Zaytouna », Adel Almi, mène de son côté, une campagne contre les établissements ouverts au mois de Ramadan. Il s'est rendu, il y a de cela quelques jours, accompagné d'un caméraman, au centre commercial Zéphyr à la Marsa, pour vérifier si le café du centre sert ou non des Tunisiens.
Contacté par Business News, Adel Almi, détient un discours aussi radical qu'à l'accoutumée. Il signe et persiste, « ouvrir les restaurants et les cafés au mois de Ramadan est une atteinte au sacré et encourage les jeunes à ne pas pratiquer le jeûne. Ces jeunes qui bravent l'interdit sont une proie facile aux satanistes qui menacent le pays » nous a-t-il affirmé ! « Tous ceux à qui nous avons parlé, nous ont affirmé qu'ils sont musulmans et que le manque de conseils et d'encadrement les a amenés à ne pas pratiquer le jeûne » a précisé Adel Almi, « l'Etat ne doit pas protéger la débauche et le pêché au risque de devenir un Etat foncièrement corrompu. Nos enfants sont menacés par l'endoctrinement des terroristes et l'argument d'un Etat mécréant serait un argument infaillible pour ceux qui veulent faire de nos enfants des bombes humaines » a-t-il souligné tentant toutefois, tant bien que mal, d'esquiver sur la question de la légitimité d'attaquer un pays « mécréant ». Adel Almi nous a, en outre, fièrement confié qu'il s'est rendu aujourd'hui même dans un restaurant à Sidi Daoued pour constater que nombreux tunisiens s'y sont rendus pour déjeuner. Tunisiens qui interpellés ont affirmé avoir voulu ne pas être là, mais que le manque d'encadrement les a entrainés sur le chemin du pêché promettant dans la foulée de se retenir à l'avenir. A la question « que faire des autres ? « Ceux qui ne sont pas musulmans et qui l'assument ». Il a estimé que « cette poignée de personnes devrait se terrer chez elles pour manger » !
Contre cette campagne, d'autres voient le jour, des groupes et des applications dédiés aux non-jeûneurs foisonnent sur le web, à l'instar de « Fater » ou de « Azguinou ». Ces groupes ont pour vocation d'informer les adhérents des lieux ouverts où ils pourront boire un café ou déjeuner souvent à des prix qui flambent, parce que le risque encouru en ouvrant ses portes au mois de Ramadan se paye. Ainsi, la plupart des restaurants proposent leurs produits à des prix exorbitants et avec une qualité qui laisse souvent à désirer. Souvent les employés même des restaurants sabotent cette ouverture, rechignent à livrer ou à servir les clients ou encore leur préparent un met immangeable en guise de « punition ». Pour un café ou un sandwich, les non-jeûneurs sont obligés de parcourir des kilomètres à la recherche d'un repas et de se cacher pour l'avaler.
La Tunisie, démocratie naissante, prix Nobel de la paix, cette Tunisie sur laquelle les regards du monde sont braqués, en est encore à réfléchir s'il faut ou pas autoriser des cafés à ouvrir au mois de Ramadan. La Tunisie dont l'économie est au plus bas, se permet le luxe de baisser les rideaux, une journée entière et un mois durant, pour « ne pas encourager au pêché et ne pas donner des prétextes aux terroristes », alors que la liberté des croyances est protégée par la constitution et que le pays compte dans sa population des musulmans, des musulmans non pratiquants, des juifs, des chrétiens et des athées qui n'en ont que faire de la question et qui ont un rêve commun, celui d'un pays uni et prospère.