A seulement deux jours de la date des élections américaines, les jeux semblent être faits. Les partisans de Hillary Clinton le clament haut et fort « the Game is over » [le jeu est fini], confiants quant aux chances de la candidate démocrate d'accéder à la Maison Blanche. Dans l'autre camp, celui du républicain Donald Trump, on ne déchante pas. Les deux camps continuent de s'agiter et d'employer les gros moyens, offrant au monde un véritable show à l'américaine que seul le pays de l'Oncle Sam est capable d'offrir. A J-2, malgré les pronostics, les bulletins n'ont pas encore prononcé leur dernier mot et ils peuvent bien réserver des surprises. « The game is over ! Il n'y a plus personne à convaincre », affirme obstinément Joseph E. Uscinki, professeur de sciences politiques de l'université de Miami. Lors d'une conférence donnée sur les complotistes : « la théorie du complot est pour les perdants », il accuse, à demi-mots, Donald Trump de fabriquer des théories farfelues et rocambolesques pour discréditer son adversaire. Impossible pour le Pr Uscinki de garder son sérieux lorsqu'il s'agit d'évoquer le candidat républicain. Chacune de ses remarques au sujet de Trump sont ponctuées de moqueries. Avec des références au match de baseball d'hier, il explique comment, selon lui, Hillary Clinton, ne peut que remporter l'élection présidentielle. « A moins que Hillary ne soit arrêtée menottes aux mains, elle va gagner !», tient-il en plaisantant sur l'électorat de Trump, composé selon lui : de simple Américains moyens.
La campagne électorale passionne toutes les tranches de la société américaine. Les Américains actifs et d'un certain âge ne sont pas les seuls impliqués. Dans les campus, les étudiants s'agitent. Cette élection est aussi décisive pour les « millennials », ceux qui sont nés entre la fin des années 90 et le début des années 2000 et qui votent pour la première fois.
Dans le gigantesque campus de l'université de Miami, étudiants républicains et démocrates se réunissent autour de tables de dialogue. « Aucun débat tendu n'a lieu entre les deux camps », nous explique Brianna Hernandez, étudiante de 20 ans. Les deux se réunissent afin de parler de leurs réelles préoccupations, de leurs attentes, de leurs problèmes. Brianna Hernandez, étudiante en histoire et sciences politiques, est membre active dans la campagne Get-out-the-vote (GOTV) (sortir pour chercher les voix). Une campagne qui a pour vocation d'encourager les citoyens à sortir voter. Littéralement, dans les campus, par exemple, des actions sont organisées pour inciter les jeunes étudiants à bouger pour exercer leur devoir électoral. En plus de campagnes de sensibilisation, des bus se déplacent dans les universités pour conduire les jeunes votants jusqu'à leurs bureaux de vote. « Pour parler aux étudiants, nous évoquons les problématiques qui les intéressent : cannabis, environnement, etc. Ces sujets les concernent plus que les relations des Etats-Unis avec la Russie ! », explique Brianna. « S'ils ne sortent pas voter, ils ne pourront plus se plaindre plus tard. Il est important pour les millennials de donner leurs voix, ce sera dans ce monde qu'ils vont vivre ! ».
Aaron Gluck, 20 ans, étudiant en sciences politiques, et démocrate, affirme que ses choix politiques sont influencés par ceux de ses parents. Comme beaucoup de jeunes de son âge d'ailleurs qui suivent les orientations des anciennes générations. Tout en refusant de regarder la réalité politique comme un épisode de la série « House of Cards », qu'il cite comme référence, il affirme avoir voté pour Hillary Clinton tout en regrettant son « manque d'aisance communicationnelle et ses discours peu inspirants ». En revanche, il décrit Donald Trump comme « une star de télévision bruyante ». Tous ces étudiants ont déjà voté.
La Floride est un Etat au rôle déterminant dans la présidentielle du 8 novembre. Autant dans les quartiers hyper touristiques et aseptisés de South Beach que dans ceux plus branchés et bohèmes de Wynwood. Tout est là pour pousser les Américains à sortir voter le jour J.
La Floride sera l'un de ses Etats qui déterminera qui devra perdre ou gagner. Faisant partie des « swing States », comme le Colorado, l'Ohio, l'Iowa, le Michigan ou la Caroline du Nord, la Floride offre encore un challenge aux deux candidats et réserve bien des surprises. Les deux y multiplient les meetings à seulement quelques jours du scrutin décisif. Le 2 novembre courant, Hillary Clinton avait seulement 1 point d'avance sur Donald Trump selon les chiffres du Real Clear Politics. Et l'écart ne cesse de se creuser. Les scores sont très serrés et tout peut basculer à la dernière minute. La Floride garde, aujourd'hui encore, le souvenir des 500 votes qui ont offert sa victoire au candidat Bush face à Al Gore en 2000.
Lors d'un meeting organisé aujourd'hui à Pembroke Pines en Floride, Hillary Clinton s'est adressée à la foule venue l'acclamer : « J'ai l'endurance nécessaire pour tenir la présidence ». Une pique lancée en réponse à une critique que lui avait faite son adversaire lors du premier débat télévisé entre eux où il l'a accusée de ne pas avoir assez d'endurance.
Des centaines de personnes sont venues acclamer la candidate démocrate. Un événement organisé comme une véritable fête foraine, où des stands de nourriture avoisinaient les étalages de produits à l'effigie de la candidate, exposés à la vente.
Sous une pluie battante, Hillary a prononcé des slogans appelant les gens qui ont déjà voté en « early vote » [vote anticipé] à inciter les autres à en faire autant. La foule, chauffée à bloc, a scandé « Hillary Hillary » coupant la parole à la candidate qui a dû écourter son discours, surprise par les fortes averses qui contrastent avec le climat estival de la ville. C'est avec une voix écorchée que Hillary Clinton est venue discourir aujourd'hui. La veille, elle était l'invitée surprise de Jay-z et de Beyonce. Elle est montée sur la scène du concert des deux artistes dans un autre Etat clé, celui de l'Ohio, où elle est devancée par Donald Trump.
Exactement en même temps, à Tampa, encore en Floride, Donald Trump, tenait un meeting pour tenter de convaincre ceux qui n'ont pas encore voté de sortir aux urnes lui donner leurs voix.
L'élection est organisée en véritable show à l'américaine. Des campagnes de rue où les volontaires usent d'affiches et de hauts parleurs aux slogans racoleurs pour se faire entendre. Des affiches à l'effigie des candidats, des produits incitant au vote ou dénigrant l'un ou l'autre dans les vitrines des magasins. Impossible de passer à côté. Il suffit d'allumer sa télévision pendant 10 minutes pour être submergé de spots publicitaires expliquant par des formules, souvent très peu orthodoxes, pourquoi un tel candidat est « menteur et malhonnête et doit être évincé d'urgence ». Ici, il est plus question de dénigrer son adversaire que de vanter ses propres mérites. Mais le politiquement correct n'a pas sa place en Amérique.
Contrairement aux journées électorales tunisiennes, les Américains appartenant à plusieurs Etats, dont la Floride, votent depuis fin septembre. Si la journée officielle du vote est le 8 novembre, les électeurs peuvent choisir de voter par la poste ou de recourir au vote anticipé en évitant les files d'attente. Plusieurs Américains, dans 37 Etats sur 50, dont la Floride, profitent de leur pause-déjeuner pour voter dans les nombreuses bibliothèques et autres stations prévues à l'occasion.
En 2012, seulement 40% des votants ont voté le jour de l'élection. 27% ont voté par la poste et 23% ont recouru au vote anticipé. Une facilité de taille qui permet aux votants, munis d'un simple permis de conduire, de profiter de leur pause-déjeuner pour se déplacer dans l'un des nombreux centres prévus pour ça dans leur compté et glisser un bulletin dans la machine. Le Département des Elections du Miami Dade County, en fait partie.
Les électeurs sont alignés en files bien rangées, l'accueil est chaleureux, les files sont fluides et l'attente très courte. Pour les journalistes, en revanche, impossible d'approcher les électeurs à moins de 10 mètres. Pour savoir pour qui ils ont donné leur vote et connaitre leurs opinions, il faudra attendre qu'ils aient quitté la file et soient sortis des bureaux. Tout est paramétré et chronométré pour que le vote soit « le plus simple possible ».
« En 45 minutes, file d'attente comprise, les votants peuvent accomplir leur devoir électoral », nous explique Caroline D. Lopez, superviseur adjoint des élections au Département des Elections du Miami Dade County. Elle ajoute : « Le Département des élections prépare le scrutin depuis des années déjà ». De gros moyens sont en effet mis à disposition des votants pour que personne n'aie une excuse pour ne pas voter. « Voter est facile » ne cesse de clamer la première dame américaine Michelle Obama dans les spots télévisés pro-Hillary. Cela n'a jamais été aussi vrai ! Il ne s'agit pas, en effet, de glisser de bulletin dans l'urne, mis dans une machine qui vérifie que l'électeur a réellement rempli son bulletin de vote exactement comme il se doit, compte tenu du nombre de choix qui s'offre à lui. Dans le cas contraire, le bulletin est soit rejeté, soit accepté tel quel et donc, pas pris en compte lors du décompte des voix.
Mais au-delà du mode de scrutin et des votes, la campagne électorale pour la présidentielle américaine de 2016 est une chose unique en son genre. L'Amérique n'a jamais rien vu de tel. L'outsider politique, loufoque et imprévisible Trump faisant face à la candidate féminine au parcours controversé Hillary Clinton. De quoi placer cette campagne sur de multiples axes. La question du genre agite, elle aussi, les débats.
« Ce n'est pas un parfum de crème glacée ! » répond Susan Windmiller, présidente de la Ligue of Women Voters (la ligue des femmes votantes), à l'adresse de celles qui lui disent qu'elles n'aiment pas Hillary Clinton. « Vous n'avez pas à aimer les candidats. Il faut voter pour celui, ou celle, qui présente les arguments de campagne qui vous ressemblent le plus », soutient-elle. Cette organisation, apolitique et non partisane, se veut être un moyen mis à disposition des femmes pour les aider à exercer leur droit de vote. Les femmes représentant 54% des votants enregistrés dans l'Etat de Floride. Des actions, en petits comités, sont organisées pour informer et expliquer les choses. Et il en existe des choses à expliquer ! Mais même si elle se veut complètement à distance égale des deux candidats, la LWV ne peut s'empêcher de se dire « fière de voir qu'une femme participe, pour la première fois, à la course à la Maison Blanche […] c'est un message adressé à toutes les femmes, leur disant qu'elles peuvent le faire ! ». Voilà qui est dit.
Mais au-delà du genre, c'est toute la carte démographique des US qui est en train de changer. Il est impossible aujourd'hui de compter uniquement sur le vote d'une communauté au détriment d'une autre. Ou plus précisément sur « le vote blanc », uniquement. Tous les groupes comptent et il faut convaincre tout le monde.
Dans un Etat comme la Floride, la langue espagnole est la deuxième utilisée après l'anglais. Les latinos, originaires de pays comme le Mexique, le Salvador, le Paraguay, le Venezuela et autres, font partie intégrante de la population locale, autant que les afro-américains ou les autres communautés. Mais chaque Etat est différent. Demain nous nous envolerons pour New York, et là, ce sera une autre paire de manches….