Il faut à peu près 20 ans d'études à une personne pour être considérée apte à intégrer le monde du travail. Le tiers d'une existence. Certains, au terme de cette période, n'auront même pas cette chance. Sous le régime du parti unique, des dialogues étaient organisés annuellement avec cette frange de la population et dans chaque gouvernorat pour tenter de récolter des données et garder un certains contact avec la réalité de ces jeunes. « Ija lel Hiwar » est le nom donné à l'initiative de cette année, amorcée le 1er octobre, elle se poursuivra jusqu'au 13 novembre. Un dialogue sociétal dont le but premier est de récolter une quantité de données scientifiques, à partir desquelles sera produit un livre blanc qui sera présenté à l'ARP.
Un rapport qui promet de donner une vision claire aux autorités, lesquelles pourront par la suite développer, avec l'aide de l'ITES, les orientations stratégiques pour une vision jusqu'en 2030. Lors d'une intervention radio, la ministre de la Jeunesse et des Sports a avancé les chiffres relatifs au dialogue cette année : quelques 21 mille participants pour 19 mille interventions au total. Toutes ont été recensées dans un nouveau système informatique centralisé.
S'exprimant sur le contenu, Majdouline Cherni a relevé qu' « un grand pourcentage de jeunes n'a plus confiance en ces discussions. Ils sont désespérés et frustrés. Ils n'ont plus confiance dans le fait que l'Etat puisse changer les choses ». Une frustration qui se traduit dans plusieurs cas, par la tendance à l'immigration clandestine ou, pire encore, à l'extrémisme qui les dirigerait vers les zones de conflits comme l'Irak hier ou la Syrie aujourd'hui. En effet, Mme Cherni a expliqué à ce sujet que « depuis 2011, 40 mille jeunes ont eu recours à l'immigration clandestine ! Et que, sur les 10.000 personnes accusées de terrorisme et aujourd'hui en prison, 70%, ont entre 18 et 34 ans. Ces jeunes qui passent à l'acte ont besoin de se sentir importants. Ils ont besoin de se sentir dans l'action ! »
Invitée dans le cadre de l'émission Midi Show sur Mosaïque FM, le 3 octobre 2016, la secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Faten Kallel a déclaré que le gouvernement est pleinement conscient du pessimisme ambiant chez les jeunes qui « dérive de l'absence de confiance en l'Etat et dans le futur ». Face à cette situation, le gouvernement a constamment réagi, créant divers programmes d'aide aux jeunes. Après SIVP1 et SIVP2, on créa « Forsati ». Une initiative qui vise la réinsertion des jeunes chômeurs dans le privé. Le programme en question passe par l'organisation de journées d'information sur la formation, l'emploi et l'initiative privée, en présence des structures d'appui, d'hommes d'affaires et d'investisseurs, pour aider à la création de projet, promouvoir les mécanismes d'encouragement à l'investissement et identifier les opportunités d'emploi et d'investissement.
Le programme « Karama », traduit le droit des chômeurs diplômés du supérieur à une vie digne. Avec ce programme on donnera un salaire de 600 DT aux 25 mille diplômés chômeurs ayant dépassé les 2 ans d'inactivité afin de leur garantir les besoins de base. Ils commenceront à les percevoir à partir de 2017. En contre partie, ces jeunes devront adhérer à des programmes de formations ce qui facilitera leur réinsertion. Parlant de l'inadéquation de la formation des étudiants aux réels besoins du marché, le ministre de l'Emploi, Imed Hammemi, avait dit au moment de lancer ce programme : « Le problème en Tunisie est qu'on a des centaines de milliers de postes vacants qui ne trouvent pas preneurs. Notre rôle est d'appliquer un genre d'intermédiation pour rapprocher les chômeurs de ces postes disponibles ».
En renforcement à l'initiative privée, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a annoncé la création d'un fonds de 250 millions de dinars dédié aux jeunes entrepreneurs. Il a précisé que cet argent pourrait être augmenté si nécessaire. Le 1er octobre il déclarait : « Il est du devoir du gouvernement de rétablir la confiance et pour cela, il faut qu'on aille vers ces jeunes, qu'on leur parle et puis qu'on les écoute ! Il faut aussi leur donner la possibilité d'entreprendre et avec ce projet on ira dans les régions ». Dans son discours devant la nation, le chef du gouvernement a admis par la suite que l'Etat n'a plus aujourd'hui les moyens de créer de l'emploi.
Selon l'INS, 15,6 % de la population active est au chômage, des jeunes dont la formation, très souvent, ne répond pas aux demandes d'un marché du travail toujours plus demandeur en compétences spécifiques. L'étude de l'IACE sur l'emploi publiée pendant l'année 2016, révèle que les deux tiers des candidats au recrutement se révèlent incompétents. Ces candidats ne remplissent pas les critères liés au poste pour lequel ils aspirent et lors de la phase de recrutement on relève que beaucoup d'entre eux sont incapables de formuler des présentations écrites et orales résumant leurs précédentes expériences : les implications en termes de parcours professionnels sont dramatiques. Ce phénomène est intrinsèquement lié au système d'éducation et de formation en place aujourd'hui dans notre pays.
Si l'université tunisienne est aujourd'hui jugée pour son inadaptation aux tendances du marché, pour s'être déconnectée des besoins des entreprises lançant sur le marché des diplômés inaptes à s'y insérer, et ainsi être en grande partie la source du chômage massif. Ce jugement ne peut être équitable que si on tient compte des moyens et des champs d'action dont elle dispose. A la lumière des recommandations de l'IACE à ce sujet, il faudrait considérer les universités et institutions universitaires comme des entreprises produisant un service et évoluant dans un environnement concurrentiel. Et de ce fait, les soumettre à un mode de gestion propre à des entreprises opérant dans un environnement concurrentiel et où le contrôle de la qualité à tous les stades du processus de production est la règle (inputs et outputs).
Rattrapé l'inertie des multiples crises, le gouvernement est incapable de fournir de l'emploi, cette tâche est donc reléguée au secteur privé. Toujours selon l'IACE, 270 mille postes d'emploi seront créés durant les deux prochaines années. Les chômeurs devront apprendre à « arracher leur place » comme avait dit Faten Kallel. Le gouvernement se propose quant à lui de réformer l'éducation et de développer les quelques 600 maisons de jeunes dans les régions. Les responsables ont même parlé de créer des « FAB LAB » au sein de ces structures. Des promesses !
Le challenge qui se pose actuellement au gouvernement est de faire en sorte que ce dialogue avec les jeunes ne soit pas le dernier d'une longue série. Il faudra que les conclusions de ce travail colossal se traduisent réellement par des mesures d'incitation et de facilitation en faveur des jeunes. Par ailleurs, le problème conjoncturel de l'inadéquation entre formation académique et marché du travail devra être analysé et solutionné de manière transversale entre plusieurs ministères. Autant dire qu'il y a du pain sur la planche !