La révision de la nomination des délégués est posée sur le tapis depuis le gouvernements de Mehdi Jomâa. Alors que Youssef Chahed a promis de garder l'administration tunisienne à l'abris des tiraillements politiques pour qu'elle puisse accomplir sa mission dans une totale partialité, le dernier mouvement des délégués vient en totale contradiction avec les engagements pris. Les élections municipales sont prévues pour la fin de cette année et la question épineuse de l'indépendance des délégations suscite une large polémique. « L'administration se doit d'être neutre, de faire preuve d'indépendance et d'éviter toute forme d'instrumentalisation partisane ou idéologique », a déclaré le chef du gouvernement Youssef Chahed samedi 29 octobre lors de l'ouverture de la Conférence des directeurs généraux du ministère de la Fonction publique et de la gouvernance. Un crédo défendu depuis la création du gouvernement dit d'union nationale où Youssef Chahed s'est engagé depuis son investiture à privilégier les compétences et à « restaurer la confiance entre l'administration et le citoyen ». Un engagement qui n'a cependant pas fait long feu. Vendredi 27 janvier 2017, le chef du gouvernement Youssef Chahed annonce un mouvement dans le corps des délégués touchant 114 délégations. Aussitôt annoncées, aussitôt critiquées, les nominations dans le corps des délégués ont rapidement suscité l'ire d'une partie de la classe politique tunisienne. Une frange qui n'a pas eu droit à sa part du gâteau.
En effet, à y regarder de près, le mouvement annoncé par la Kasbah obéirait à une répartition « strictement » partisane. Adieu les compétences et le mérite et bonjour l'appartenance politique et partisane. En effet, dans ce mouvement, Nidaa et Ennahdha se sont partagés le plus grand nombre de délégations en nommant des personnes qui leur sont proches. Il s'agit de la frange de Nidaa pro Hafedh Caïd Essebsi. Plusieurs autres partis ont également eu droit à leur part du gâteau, dont on cite Afek Tounes, Al Moubadara, Al Joumhouri et Al Massar. Tous sont membres de la coalition gouvernementale. Certains partis ont été évincés de ce mouvement dont l'Union patriotique Libre de Slim Riahi et le Mouvement pour la Tunisie (MPT) de Mohsen Marzouk. Une éviction qui a été largement critiquée par ces derniers et le MPT l'a bien fait savoir. Le secrétaire général du MPT, Mohsen Marzouk a multiplié les apparitions dans les médias afin de crier au scandale et critiquer cette « politisation » de l'administration tunisienne à la veille du scrutin municipal.
Dans une déclaration donnée aux médias dimanche 29 janvier, le SG du MPT a même déclaré que son parti va même jusqu'à retirer sa confiance au gouvernement Chahed annonçant sa décision de se placer désormais dans le rang de l'opposition. « Une opposition positive » a-t-il dit. Critiquant le récent mouvement des délégués, duquel son parti a été évincé, Marzouk a estimé que « le gouvernement a commis une énorme erreur lors du mouvement dans le corps des délégués, outre d'autres erreurs » insistant sur le fait que « les nouveaux délégués n'ont pas les compétences nécessaires pour mener à bien leur mission, en plus de leur partialité ». Tout en critiquant ce mouvement il a rappelé l'engagement pris par Youssef Chahed en faveur de la neutralité. « Voilà la preuve aujourd'hui qu'il se contredit » a-t-il dit.
Au-delà des mécontentements partisans, les compétences mêmes, jugées insuffisantes voire quasi-inexistantes même pour certains députés, ont été pointées du doigt. De l'avis de plusieurs observateurs, nombre des délégués nommés n'auraient pas les qualifications requises pour occuper ledit poste. Un autre dirigeant au sein du mouvement Projet pour la Tunisie et député, Hassouna Nasfi, a par ailleurs critiqué les compétences des délégués nommés, affirmant dans un statut publié sur sa page Facebook que « ce qui attire l'attention dans le dernier mouvement des délégués est que l'un d'eux, ayant un niveau d'instruction bac-6, ait été nommé dans une délégation très importante à la place d'un autre qui occupait ce poste jusqu'à 2011 un délégué ayant un niveau bac+10 ».
Hamma Hammami a tenu les mêmes propos dans une déclaration aux médias. Il a affirmé que « les récentes nominations ont confirmé le chemin pris par la coalition au pouvoir, à savoir le système des quotas partisans ». « Il ne s'agit pas de nommer ceux qui ont des compétences mais de partager les parts de chaque partie. Nous avons la certitude aujourd'hui que la coalition au pouvoir n'est pas en charge de travailler pour l'intérêt du pays mais pour garantir ses intérêts partisans », a-t-il dit.
En plus de compromettre la neutralité de l'administration tunisienne, ces nominations représentent une violation directe du décret-loi 87-2011 qui stipule dans son article 7 qu'« il est interdit d'adhérer à un parti politique pour les gouverneurs, les délégués principaux, les secrétaires généraux des gouvernorats, les délégués et les chefs de secteurs ». Une neutralité compromise à l'heure où les préparatifs pour les prochaines élections municipales vont bon train. Selon le ministre des Affaires locales et de l'Environnement, Riadh Mouaker, les municipales devraient avoir lieu avant la fin de l'année 2017. Une campagne a par ailleurs été lancée sur la toile pour critiquer le mouvement des gouverneurs avec le hashtag « d'où sort ce gouverneur ? » protestant contre la politisation de l'administration tunisienne et l'altération de la neutralité des délégations. Si le système des quotas partisans permet de donner un os aux partis "forts" de la scène politique, les délégations tunisiennes pourraient se retrouver avec des dirigeants qui n'ont pas le minimum de compétences requises pour diriger et faire face aux impératifs requis par des postes aussi délicats. Ceci ne touche pas uniquement les délégués, on retrouve la même philosophie dans les nominations touchant les gouverneurs, les directeurs généraux, les chargés de missions et bien d'autres.