Dans les plus grandes démocraties du monde, un ministre doit démissionner s'il est impliqué dans une quelconque affaire de malversation. C'est ce qui s'est passé en Tunisie, mais ce n'est pas pour autant que nous sommes « une des plus grandes démocraties du monde ».Fadhel Abdelkefi, à la tête des portefeuilles des Finances par intérim et de la Coopération internationale, a déposé sa lettre de démission vendredi 18 août suite à la divulgation d'une affaire dans laquelle un jugement a été émis contre lui, assorti d'une peine de prison par contumace. Nous ne reviendrons pas sur le fond de cette affaire ni sur les détails qui ont été expliqués et commentés dans nos colonnes depuis le début de la semaine dernière. Le ministre a-t-il pris la bonne décision ? Démissionner alors qu'il est au cœur d'une machination évidente. Lui le sait, ceux qui sont derrière le savent, nous le savons et l'opinion publique n'est pas aussi dupe qu'on le croit. Un jugement par contumace prononcé alors qu'il n'avait pas eu l'occasion de se défendre ni de s'expliquer. Une affaire qui date de 3 ans et qui ressort aujourd'hui via des pages douteuses, accompagnée de commentaires abracadabrants. Fadhel Abdelkefi a fait preuve d'une grande humilité et d'un courage certain en affirmant vouloir assumer cette affaire jusqu'au bout. Mais a-t-il bien fait de démissionner ? Je n'en suis pas si sûre. Le gouvernement Chahed vient de perdre l'une de ses meilleures compétences. S'en relèvera-t-il ? C'est possible, mais hasardeux en cette période de turbulences où chaque compétence compte…surtout qu'elles se font rares. Une leçon de démocratie alors que les bas calculs priment, n'est-ce pas un luxe qu'on ne peut se permettre ? Encore une fois, les calculs politiques et partisans ont gagné.
Face au courage de cette démission, la lâcheté d'un gouvernement qui n'a pas défendu les siens jusqu'au bout. On ne cesse d'évoquer la formation d'un « gouvernement de compétences ». Les politiques en demandent et le crient sur tous les toits. Dans les faits, ce sont les intérêts partisans qui priment. Les gouvernements dits de compétences s'avèrent par la suite un rafistolage visant à faire taire les uns et à satisfaire les autres. A créer un équilibre fragile. A distribuer des parts à ceux qui « le méritent » et à garder ses amis proches sous le bras et ses ennemis bien en évidence. Il serait plus simple d'appeler les choses par leur nom. Ce serait moins ridicule que de dire que certains ministres sont des compétences dans leur domaine. Evitons de citer des noms…
Un remaniement est inévitable. Aujourd'hui plus que jamais. Depuis sa formation, il y a tout juste un an, le gouvernement Chahed s'est délesté de quatre de ses ministres. Briki, Jelloul, Zribi et maintenant Abdelkefi. Certains, jetés comme des malpropres. L'idée étant de défendre le gouvernement Chahed. Comme un tout, une entité indissociable et non pas un ensemble de ministres. Ou même de défendre Chahed lui-même, qui fait face à une opinion publique impitoyable. Le chef du gouvernement réussit certaines de ses missions mais échoue évidemment dans d'autres. Si la formation de son cabinet s'est faite dans la douleur, le remplacement des absents se fera dans le sang. Un troisième nom devra se succéder, en seulement quelques mois, à la tête du cabinet le plus délicat de l'équipe Chahed : celui des Finances. On aura beau parler de menace terroriste, de tourisme, de droits des femmes, de relations internationales, le portefeuille des Finances est le plus important. Rien ne réussira avec une économie à la dérive et des caisses vides. Surtout avec une loi de finances et un budget sur le point d'être élaborés.
Le 26 février dernier, Business News avait écrit un article intitulé « Youssef Chahed dans son exercice favori » revenant sur une interview donnée par le chef du gouvernement à Al Hiwar Ettounsi à l'époque. Pleinement à l'aise dans l'exercice médiatique, Chahed était accompagné à l'antenne d'une grande majorité de ses ministres. L'image était forte, celle « d'un gouvernement solidaire, présent et rassemblé derrière un chef qui prend les devants ». Parmi ces ministres, posant fièrement derrière, figurait Fadhel Abdelkefi. Si Chahed veut montrer qu'il est soutenu et épaulé par ses ministres, eux ne peuvent en revanche prétendre la réciproque. Certains d'entre eux viennent d'en payer les frais. Preuve qu'aucun gouvernement n'est solide s'il considère que ses ministres ne sont que de simples faire-valoir…