Alors que le mandat de Chedly Ayari, Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), ne s'achève juridiquement qu'en juillet 2018, à moins d'un improbable limogeage qui signifierait qu'il a été lâché par la seule personnalité qui aurait pu y faire obstacle, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, voila que l'on commence déjà à spéculer et parier sur son successeur. Curieux. Car, bien téméraire est celui qui prétendrait aujourd'hui pouvoir tenir les rênes de l'institut d'émission et y conduire la politique monétaire et de change idoine pour sortir le pays de la crise économique. La compétence de Chedly Ayari n'a déjà pas suffit. Son successeur devra l'avoir aussi et plus encore avoir la capacité d'affronter la bourrasque lorsque les nécessités obligent. Durant ces dernières années, Chedly Ayari a mené la BCT sur un délicat chemin de crête. La politique expansionniste qu'il a dirigé n'a pas fourni les résultats escomptés. La croissance est demeurée molle et la trajectoire de l'inflation est restée toujours incertaine. Plus encore, la stabilité du système financier et la défense de la monnaie, ces deux missions dont la BCT était en charge et qui ne le sont plus en vertu de la nouvelle loi bancaire modifiant les missions de l'institut et réduisant les priorités sur le seul ciblage de l'inflation. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement les perspectives de croissance, d'investissement, d'exportations et d'emploi qui causent des soucis, mais également la fragilité du système financier et la valeur de la monnaie. Malheureusement, on n'a pas donné une « bonne politique » au Gouverneur de la BCT pour qu'il fasse de « bonnes finances ». Ce serait effectivement le cas cette année. La volte-face opérée par l'institut d'émission à travers le relèvement de son taux directeur successivement aux mois d'avril et mai dernier fournissait déjà un signal d'alerte. Sans la mise en œuvre des réformes structurelles dont a besoin l'économie pour se redresser, une politique monétaire accommodante va nécessairement réveiller les tensions inflationnistes et pire encore va opérer de sérieux travers dans la politique financière du pays.
Le constat est amer. C'est le calendrier économique du gouvernement, toujours incertain, qui a eu raison de la politique monétaire accommodante de la BCT. Elle est devenue inutile dès lors qu'elle a plus servi à creuser les déficits jumeaux du budget et des paiements courants qu'à booster la croissance. Les liquidités injectées par l'institut d'émission pour répondre aux besoins des banques n'ont pas été canalisées vers l'investissement productif comme cela pouvait être espéré. La décision prise par l'autorité monétaire de plafonner le montant de ses intervention sur la marché monétaire à hauteur de seulement 7 milliards de dinars deux mois après avoir relevé le taux directeur d'un point de pourcentage à 5% pour rectifier le tir ne semble pas avoir suffit pour apaiser la demande de liquidité. Actuellement, le taux moyen du marché monétaire frôle le plafond du corridor de 25 points de base par rapport au taux directeur fixé par la BCT, à 5,24% alors qu'il affichait un taux de 4,94% à la fin du mois de juin 2017. Et ce n'est pas tout puisque les banques se sont massivement ruées vers les « facilités de prêt à 24 heures » auprès de la BCT, dépassant les 1 200 MD en moyenne au cours du mois de juillet 2017 pour retomber sous la barre du milliard de dinars à fin du mois d'octobre 2017. On est très loin des données de l'année dernière durant laquelle le recours à cet instrument dépassait à peine 100 MD. Même les recours au swap de change ont enregistré un accroissement remarquable.
Las, tout cela a été consenti pour un maigre résultat en termes d'investissement. Depuis le début de l'année, les crédits recensés par la centrale des risques de la BCT n'ont augmenté que de 5,4%. Ce qui est plus remarquable est que les crédits de court terme ont augmenté plus vite que les crédits de moyen et long terme, traduisant les besoins de trésorerie des entreprises pour maintenir leur activité, respectivement 7,5% et 2,6%. Quant aux crédits à la consommation octroyés, ils ont augmenté de 7,7%.
Tout cela a été consenti aussi pour creuser davantage le déficit de la balance commerciale fragilisant dans son sillage la balance des paiements extérieurs courants et le niveau des réserves en devises que tente de préserver l'institut d'émission à coup de dépréciations successives qui creusent par elle-même davantage le déficit. A la fin du mois de juillet 2017, le creusement du déficit commercial de 1,5 milliards de dinars supplémentaires par rapport au déficit affiché par la même période de l'année dernière serait dû à hauteur de plus de 66% à la dégradation du taux de change du dinar, à 28% à un effet de volume et seulement 4% à un effet prix, selon des données publiées par l'Observatoire tunisien de l'économie qui cite comme source la BCT. Cette spirale infernale risque de s'amplifier encore avec l'alourdissement du service de la dette et le gonflement implicite de l'endettement. L'héritage que lèguera Chedly Ayari séduit-il encore des prétendants ?