Il ne se passe pas un jour sans que des cas de violence ou d'agression n'emplissent la rubrique faits divers des journaux de la place et les réseaux sociaux en Tunisie. Ce phénomène, dont l'expansion est sur toutes les langues, trouble et inquiète. Il touche les petits comme les grands et dénote d'un malaise certain, que l'Institut tunisien des études stratégiques (ITES) a tenté de percer dans son rapport du mois d'octobre. La violence urbaine a envahi quasiment tous les secteurs en Tunisie et les observateurs n'ont cessé de constater la propagation du phénomène au sein des activités sportives, des écoles, des lycées, des universités, des mouvements sociaux et politiques ainsi que des foyers et dans les quartiers populaires ou branchés. Il est important de signaler que la violence a atteint un degré tel qu'il devient impossible de considérer le phénomène comme exagéré par les médias mais de l'appréhender comme une réalité sociale qui nécessite l'intervention de toutes les parties concernées, au sein de l'Etat et de la société afin d'expliquer, de comprendre ce fléau et de trouver les solutions pour en venir à bout.
L'ITES a choisi, dans son rapport publié en octobre 2017, de s'attarder sur la violence à l'échelle nationale et celle qui sévit dans les institutions éducatives. L'Institut a affirmé que les cas de violences enregistrés en cinq années, jusqu'en 2010, ont été de 180 mille cas, sans compter évidemment ceux qui n'ont pas été rapportés. Jusqu'en 2017 en revanche, plus de de 200 mille cas de violences ont été enregistrés à l'échelle nationale, toujours sans considérer les cas de violences verbales et physiques non rapportés « et qui peuvent être le triple des chiffres communiqués ». Selon l'ITES, les chiffres diffèrent selon les régions. Dans les milieux urbains, les cas de violence sont plus nombreux que dans les milieux ruraux. Ainsi, jusqu'en 2017, 135 mille cas ont été enregistrés dans les zones urbaines, contre 80 mille dans les milieux ruraux. Il est également utile de préciser que les cas de violence peuvent être joints à d'autres crimes et notamment aux vols, à l'escroquerie et au meurtre, ceci amène les cas enregistrés entre 2011 et 2017 à 600 mille cas. Ces violences sont commises dans 66% des cas par des individus dont le niveau d'éducation se limite à l'école d'enseignement de base alors que 34% des cas impliquent des personnes qui ont un niveau d'enseignement secondaire ou universitaire.
L'ITES explique les différences entre les chiffres concernant les milieux urbains et ceux des milieux ruraux par le fait que certains quartiers ont une forte densité démographique avec la cohabitation de nombreuses franges de la société en plus d'un régionalisme omniprésent chez certains. Aussi, l'éclatement de la famille et le décrochage scolaire ainsi que la régression du rôle de la famille et de l'enseignant ou encore le chômage ou la violence révolutionnaire et les protestations qui ont augmenté depuis le 14 janvier, peuvent expliquer cette montrée de la violence dans les milieux urbains.
Pour ce qui est de la violence dans le milieu scolaire et plus particulièrement dans les établissements d'enseignement de base et les lycées, entre 2012 et 2015, 67.412 cas ont été rapportés. En 2017, 26.996 cas de violence physique ont été enregistrés contre 7287 cas de violences verbales. L'ITES précise que les violences dans les milieux scolaires sont plus importantes dans les villes et constituent donc un phénomène urbain par excellence. Le Grand-Tunis enregistre les taux les plus élevés, suivi par Sousse et Sfax.
Les violences scolaires peuvent être expliquées, selon l'Institut, par la régression du rôle d'encadrement de la famille, l'éclatement familial et une situation économique difficile qui crée une frustration chez les enfants. Ces violences ont aussi des raisons sociales qui sont la marginalisation dans certaines régions et certains quartiers, la tolérance de la violence émanant de l'autorité, paternelle en particulier, qui crée un schéma que l'enfant pourrait ensuite reproduire, la vision sociale traditionnelle qui consiste à ne valoriser que les enfants qui réussissent à l'école et à dénigrer ceux qui échouent et l'absence de politiques visant à organiser le temps libre des enfants et à leur proposer des activités de loisirs alternatives. Afin de réduire le phénomène et d'éradiquer la violence, tant à l'échelle nationale que scolaire, l'ITES propose des recommandations adressées aux services de sécurité mais également aux intervenants dans le domaine social. Il s'agit notamment de veiller au respect et à l'application de la loi, à l'activation du rôle essentiel du ministère de l'Education nationale, à équiper les espaces publics avec des technologies de contrôle à l'instar des caméras, à réviser les leçons pédagogiques dans le système éducatif et à réhabiliter l'enseignant en tant que modèle de conduite.
L'ITES propose également d'organiser un dialogue social avec toutes les parties concernées afin d'élaborer une stratégie nationale de lutte contre la violence et de consacrer la prévention à travers le développement de la scène culturelle impliquant les maisons de culture les théâtres et les cinémas.
L'Institut recommande, en outre, d'organiser des visites de terrain dans les foyers et les cités universitaires pour apporter un encadrement psychologique notamment aux victimes de violences. Il appelle, par ailleurs, à renforcer le recrutement des spécialistes en psychologie, à augmenter les excursions et autres loisirs et à réétudier le calendrier scolaire pour laisser du temps aux activités culturelles et sportives. L'ITES appelle aussi les élèves et étudiants à rapporter tout cas de violence observé ou subi. Il recommande de réviser le programme académique de l'enseignement supérieur pour y intégrer des matières obligatoires relatives aux droits de l'Homme, au civisme et à la citoyenneté.
La violence urbaine est un phénomène grave et particulier. Souvent cantonnée à l'agression physique, la violence peut aussi être morale et induire de sérieux impacts psychologiques. Ces agressions ne sont pas que rurales ou urbaines, encore moins limitées au milieu scolaire. Elles sont vécues par les citoyens dans leur vie de tous les jours jusqu'à devenir une norme, une habitude. Qu'il s'agisse des conducteurs ou encore des piétonnes, des élèves, des enseignants, des employés, des patrons, du simple citoyen qui fait la queue dans une administration ou pour acheter sa baguette, les agressions verbales et physiques font partie du quotidien des tunisiens et ont tendance à devenir banales. Une banalisation contre laquelle il faudra lutter tout autant que le phénomène lui-même….