En Tunisie, démocratie balbutiante, les cafouillages se suivent et ne se ressemblent pas. Le dernier en date a suscité une vive polémique auprès de l'opinion publique et contraint le chef du gouvernement à se rétracter sur une nomination qu'il était censé avoir décidée. La nomination à la tête de l'ONFP de l'ancien ministre sous Ben Ali, Sadok Korbi, et le rétropédalage qui s'en est suivi, aura semé le doute sur l'organisation des prérogatives au sein du gouvernement ou alors sur la capacité de Youssef Chahed à assumer ses décisions…
L'Office national de la Famille et de la Population (ONFP) publiait le 12 janvier 2018 un communiqué faisant état de la nomination à la tête de l'organisation d'un nouveau directeur général, après une réunion extraordinaire du conseil d'administration de l'ONFP, qui s'est déroulée en présence du chef de cabinet du ministre de la Santé, Hichem Mchichi.
Docteur en Médecine mais également ancien ministre de l'Education sous Ben Ali, la nomination de M. Korbi n'a pas été accueillie à bras ouverts par l'opinion publique et une grande partie de la sphère politique. D'abord très proche des islamistes à sa jeunesse, puis acquis à la cause de l'ancien président, le zèle dont a fait preuve l'ancien ministre, pour tomber dans les bonnes grâces de son nouveau bienfaiteur, n'est toujours pas passé.
N'en déplaise à certains, Sadok Korbi, après une passation effectuée avec l'ancienne directrice de l'ONFP, Sonia Ben Cheikh, appelée depuis septembre à assurer la fonction de secrétaire d'Etat au ministère de la Santé, a pris possession de son poste sur proposition du ministre de la Santé, Imed Hammami et approbation en conseil des ministres, ou du moins comme cela devait être fait, du chef du gouvernement.
Coup de théâtre, le 15 janvier 2018, Youssef Chahed annonce avoir refusé le décret de nomination de Sadok Korbi à la tête de l'ONFP. Décision largement saluée mais qui interpelle une grande partie de l'opinion publique sur les circonstances floues qui ont entouré cette « confusion ». Du côté des « amis » de Chahed, les choses sont claires et on le crie à qui veut bien l'entendre que c'est le ministre de la Santé qui a outrepassé ses prérogatives et nommé sans s'en référer au chef du gouvernement Sadok Korbi. Tentative diront certains de prendre le contrôle du planning familial, grand acquis de la Tunisie indépendante.
Du côté des islamistes en revanche on affirme le contraire. Oui Imed Hammami a bien proposé le nom de Sadok Korbi mais le chef du gouvernement a bien rendu effective cette nomination. Comment peut-il en être autrement d'ailleurs vu que d'abord l'article 92 de la constitution stipule que c'est le chef du gouvernement qui est compétent en matière de nomination et révocation des emplois de la haute fonction publique et que la circulaire 22 en date du 2 décembre 2016, a été révisée pour que les annonces de ces nominations ne soient effectuées qu'après l'accord en conseil des ministres.
Ces versions discordantes n'ont néanmoins, pour les défendre, que les arguments des uns et la parole des autres. Aucun document officiel relatif à cette affaire n'a été rendu public et il parait évident qu'un cafouillage a bien eu lieu et que les responsabilités sont tues.
Dans la sphère publique les accusations ont fusé de toute part. Le passé « sulfureux » de l'ancien ministre Korbi a été dépoussiéré et réexposé aux yeux de tous. S'il a été accusé de faits et d'autres et dénoncé pour des dépassements antérieurs à la révolution, la justice acquitte Sadok Korbi et le libère en 2014 en le dédommageant pour le préjudice subi à son incarcération, dans la seule affaire où il a été cité. Il n'en est pas moins que le personnage est controversé et que de sérieuses suspicions planent sur son intégrité. Certaines personnalités publiques, à l'instar de l'ancien ministre Noômane Fehri, ont pour leur part, estimé que Sadok Korbi a été nommé pour ses références et compétences « avérées » et que de simples accusations ne devraient pas être un obstacle à sa réintégration sur la scène politique d'autant plus « que dans un Etat qui se respecte, cette nomination a bien été validée par le chef du gouvernement ».
En fin de compte, ce sera Rafla Tej Dallegi qui occupera le poste de directrice générale de l'ONFP. Spécialiste en pédiatrie ; médecin principal des hôpitaux et chargée de mission actuellement au cabinet du ministre de la Santé, Mme Tej Dallegi est également ancienne directrice des soins de santé de base, limogée par l'ancien ministre de la Santé, Saïd Aïdi.
La pression infligée sur les réseaux sociaux au chef du gouvernement et la vive contestation suscitée par la nomination de Sadok Kobbi décrite comme une « provocation », auraient eu raison du court mandat de ce dernier à la tête de l'ONFP. Porteur de la bannière violette désormais méprisée, la réconciliation n'aura pas touché de sa miséricorde l'ancien ministre. Qui était réellement derrière sa prise de fonction et quelles sont les circonstances réelles du refus ou de la rétractation de Youssef Chahed ? Des incertitudes planent encore sur cette affaire aux responsabilités non élucidées…