Une des plénières les plus houleuses s'est tenue aujourd'hui, sous la coupole du Palais du Bardo. Consacrée à l'examen de la prolongation du mandat de l'Instance Vérité et Dignité, la séance a été, pour le moins, mouvementée. Focus sur une plénière hors de contrôle. L'Instance Vérité et Dignité a toujours réussi à créer la polémique et les controverses. Sa dernière décision de prolonger son mandat d'un an sur décision unilatérale de sa présidente, Sihem Ben Sedrine, n'a pas dérogé à la règle. Toute la scène nationale fût divisée sur la question, entre ceux qui trouvent cette décision légitime et ceux qui exigent l'approbation préalable du parlement, le fossé n'a cessé de s'agrandir. Toutefois, le bureau de l'Assemblée a décidé de tenir une séance plénière pour examiner la décision de prolongation du mandat de l'IVD. Chose qui fût fortement contestée par plusieurs députés, notamment ceux du bloc démocratique qui ont même intenté un recours auprès du Tribunal administratif pour annuler la décision du bureau de l'Assemblée. Sauf que le Tribunal a rejeté le recours et la plénière a été maintenue.
Cependant, remplis de créativité et d'idées brillantes, certains députés ont trouvé aujourd'hui un subterfuge pour s'opposer au déroulement de la plénière : Etre présents sans l'être vraiment ! En effet, plusieurs députés n'ont pas enregistré leur présence pour jouer sur l'absence de quorum et annuler la séance. Seuls 57 députés ont indiqué qu'ils sont là par voie électronique. Dans ce contexte, le député Mustapha Ben Ahmed a estimé que « cette pirouette devrait être enseignée et s'inscrire dans les manuels académiques ! » Une manigance qui n'a pas abouti puisque le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur a ordonné la poursuite de la séance. D'ailleurs, des députés qui se sont dits absents ont pris la parole et participé aux débats.
Et quels débats ! Le député Al Irada, Mabrouk Hrizi a annoncé, déjà la couleur dès le départ. Son intervention a permis de donner un avant-goût de la suite, « Aujourd'hui, je suis venu à l'hémicycle en kamikaze et je suis là pour vous faire exploser ! ». Cette violence verbale accompagnée des accusations de haute trahison envers le président de l'Assemblée, a ouvert la porte aux autres députés pour entamer leur cirque, et ce fût le désordre total. Plusieurs des allocutions de ceux qui étaient contre la tenue de cette séance ont été dirigées personnellement contre Mohamed Ennaceur. Accusé de « putschiste » , de « traitre » et de « dictateur », Mohamed Ennaceur a essuyé de nombreuses critiques pour ne pas avoir levé la séance. D'ailleurs la tension est montée à un tel point que les députés en sont venus aux mains. Et il n'en fût pas moins pour le reste à l'instar de Daïmi, Abbou ou Ayari, qui ont usé de tous les moyens possibles et imaginables pour perturber la plénière et en faire un champ de bataille incontrôlable.
Cela dit, une réponse magistrale leur a été donnée par la députée de Nidaa Tounes, Héla Omrane. «Ce qu'on voit aujourd'hui, est une véritable mascarade. On assiste là à la résurrection de la Troïka. Ces gens-là ne défendent pas la justice transitionnelle, mais la personne de Sihem Ben Sedrine. De quelle Vérité et Dignité parlez-vous ? », clame t-elle. « Ces gens-là ont été éjectés en 2014, aujourd'hui, ils se retournent contre la démocratie et rejettent la décision du bureau de l'Assemblée. Ils ne peuvent exister qu'à travers le désordre. Ce qui s'est passé aujourd'hui laisse apparaître leur haine et la noirceur de leurs cœurs. Vous dites que vous êtes kamikazes, nous le savons déjà puisque vous avez menacé, auparavant, d'installer les potences. Ceux qui ont brûlé, usé de la chevrotine, affirmé que le terrorisme est un épouvantail ne peuvent être que des terroristes », assura Mme Omrane, huée et chahutée par certains de ses collègues.
Cependant, et bien au milieu de cette débandade, la présidente l'Instance Vérité et Dignité, Sihem Ben Sedrine n'a pas caché son sourire moqueur en observant tout le vacarme et le désordre régnant sous la coupole du parlement. Une ambiance qui ne lui a même pas permis de prendre la parole, préférant quitter l'hémicycle après quelques heures du spectacle infâme assuré par des acteurs de second plan. Lors de cette plénière, les députés étaient divisés entre le maintien de la séance et son report. Le quorum était en effet sujet à polémique, étant donné que le nombre de présents n'était pas le même que celui des députés ayant marqué leur présence. Le report a été demandé par plusieurs présidents de blocs parlementaires à l'instar de celui du Front Populaire Ahmed Seddik qui a affirmé que l'ambiance générale n'était pas en faveur de la poursuite des travaux de cette plénière. Le président du bloc d'Ennahdha Noureddine Bhiri a aussi affirmé qu'il était impossible de poursuivre la plénière dans ces conditions appelant le président du parlement au report de la séance. De leur côté, les présidents des blocs de Nidaa Tounes, Afek Tounes et Machrouû Tounes se sont affichés pour la poursuite de la plénière affirmant toutefois, qu'ils n'étaient pas contre un report de la séance si la majorité se prononce en faveur de ce report. D'ailleurs, la plénière a finalement été reportée par Mohamed Ennaceur à lundi prochain.
En tout état de cause, force est de constater que ce qui s'est passé lors cette séance plénière dénote du niveau de bon nombre de députés et reflète la réalité de la discorde qui règne sur la scène politique nationale, notamment, lorsqu'il s'agit de l'Instance Vérité et Dignité. Les députés ont tenté de jouer sur le quorum pour bloquer la plénière, ce quorum qui est absent au sein de cette même IVD et qui poursuit ses travaux sans le respecter. D'ailleurs, les experts en droit estiment que toutes les décisions émanant de l'instance de Ben Sedrine n'ont aucune légitimité en tenant compte de ce point.
Ainsi, la plénière reportée à lundi prochain risque de ne pas se dérouler dans les meilleures conditions surtout que le fond du problème n'est toujours pas résolu. Un deuxième épisode du spectacle donné est susceptible de se reproduire tant qu'il n'y a aucune partie capable d'arrêter la dictature d'une minorité qui essaie d'imposer sa volonté par tous les moyens.