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Rupture révolutionnaire et points de rupture
Publié dans Business News le 09 - 07 - 2018

La science politique nous apprend que la rupture révolutionnaire tend à substituer un ordre ancien par un ordre nouveau, soit selon une typographie violente faisant table rase du passé, ou selon une autre qui s'inscrit dans une continuité historiographique tout en introduisant une transformation profonde des institutions, de la société et de ses valeurs. La rupture peut alors viser la restauration d'anciennes valeurs conservatrices, ou un glorieux passé d'un côté, de l'autre, la transformation profonde des institutions, de la société et ses valeurs en vue de valoriser la souveraineté de l'Homme (droits et devoirs) par la prise en main de sa destinée.

Rupture radicale et violente ou rupture dans la continuité, l'historiographie révolutionnaire nous fournit des exemples et des contre-exemples selon le modèle hobbesien ou lockien. Il en ressort un point commun qui met en évidence la rupture avec l'ordre établi. Il est donc important de faire la distinction entre une révolution d'un côté et une révolte ou un coup d'Etat de l'autre. A l'image de la révolution française qui a vu la fuite de Louis XVI à Varennes, nous avons vécu en Tunisie aussi, la fuite du « roi » Ben Ali comme une opportunité qui a imposé aux Tunisiens, presque involontairement, l'idée d'introduire une rupture non violente visant à bâtir quelque chose de nouveau. D'ailleurs, c'est dans un autre royaume que Ben Ali s'était réfugié pour ne pas rompre avec l'ordre ancien !

Presque naturellement, l'idée de la nouvelle « République » s'est imposée comme une évidence inscrivant ainsi la rupture dans un espace de potentialités révolutionnaires où des expérimentations socio-politiques peuvent être menées. Nouvelle constitution, élargissement des espaces de liberté, nouvel ordre social, tel le récent projet de « Bochra Belhaj Hmida » et les tensions sociales que cela suscite. Ceci illustre bien la confrontation entre une rupture comme un retour à un ordre ancien et conservateur (modèle Ennahdha) ou un divorce définitif avec cet ordre. Les aspérités du réel établissent la nécessité d'intermédiation pour éviter la rupture dans la rupture et déboucher sur une contre-révolution, ou pire encore sur une guerre civile. C'est bien ce point de rupture qui peut menacer le processus révolutionnaire et lui donner une inflexion dangereuse dans un contexte de radicalisation terroriste semblable à celui qu'a connu la France en 1793 considérée comme une rupture négative.

On vient d'identifier le premier point de rupture qui illustre ce qui les ingénieurs en génie civil appellent dans le calcul des masses, « la limite admissible » au-delà de laquelle l'édifice s'effondre. Donc il s'agit d'un enjeu politique majeur en relation avec le processus révolutionnaire qu'il faudrait envisager comme producteur de tension et de possibilités de rupture négative.
La rupture négative en politique ne peut profiter qu'à deux catégories de population : ceux pour qui le modèle démocratique républicain est en contradiction avec leur projet idéologique. Ils sont tentés dans ce cas, par la perspective d'une rupture débouchant sur un chaos, lequel chaos peut les faire émerger comme une solution radicale « salutaire » du moment qu'elle est d'inspiration divine. Le référentiel religieux n'étant pas négociable, il répondra à l'aspiration égalitaire consubstantielle au phénomène révolutionnaire. Il apporte aussi la « sécurité » à travers la soumission collective à un ordre divin sous le régime duquel, l'unique ambition de l'Homme serait dans l'abdication totale de sa souveraineté. (Pour schématiser c'est le modèle révolutionnaire iranien).

En deuxième lieu, ces mêmes conservateurs ont la possibilité tactique d'utiliser les mécanismes de la démocratie pour éviter les tensions et mieux gérer les aspérités sociales comme résultante de la continuité historique. Cette tactique consiste à conquérir l'opinion jusqu'au point d'inflexion majoritaire et opérer la rupture à travers la restauration d'un ordre encore plus ancien, en se reconnectant avec l'histoire de la conquête glorieuse de l'Islam du IXe et Xe siècle. La restauration d'un âge d'or disparu était aussi la motivation de Saint Augustin, lui aussi plaidait pour une rupture qui visait à restaurer un ordre divin qui devait inévitablement advenir.

Dans un contexte international où les Musulmans se considèrent, à tort ou à raison, exploités et déconsidérés, une telle rupture donne l'illusion à la « civilisation vaincue » depuis 8 siècles maintenant -selon l'expression d'Amine Maalouf- de pouvoir prendre sa revanche sur la « civilisation victorieuse » et arrogante. Une telle rupture est de plus en plus attractive pour une jeunesse à qui les nouveaux acteurs politiques dits républicains, n'ont pas su leur proposer une rupture positive qui les projette dans l'avenir et met un terme à la nostalgie des modèles autoritaires et/ou radicaux.

La rupture visant la restauration d'un ordre ancien passe ici par le truchement des mécanismes démocratiques considérés comme moyens d'aplanir les aspérités sociales et donc la résistance au projet idéologique. (Pour schématiser c'est la stratégie de rupture dans laquelle s'inscrit Ennahdha). Les conservateurs ont alors, intérêt à ce que l'Etat se délite et perde son caractère régalien pour faire émerger le modèle religieux comme modèle structurant de la vie politique, économique et sociale. L'échelle de radicalisation étant très variée selon les groupes religieux, une telle rupture engendre inévitablement des tensions qui appellent à d'autres ruptures de plus en plus radicales par l'instauration d'une compétition en direction de l'absolu divin. Un tel phénomène est déjà observable en Syrie, en Somalie, en Afghanistan et en Irak où le délitement de l'Etat central incite les groupes fondamentalistes à s'affronter entre eux sur la base de rupture dans la rupture visant l'utopie de « l'absolue pureté ».

L'autre catégorie à qui profite le chaos est celle des « affairistes mafieux » dont la prolifération est inversement proportionnelle à l'autorité de l'Etat : moins d'Etat, plus de mafia. Cette catégorie a progressé de manière phénoménale en Tunisie et a envahi tous les secteurs d'activité. Elle progresse en même temps que sa corollaire la corruption qui est le mécanisme qui sous-tend le nouveau système de fonctionnement. Le système des valeurs républicain est alors remplacé par un système de valeur inversé. L'adhésion à ces valeurs inversées devient alors le seul moyen de survie, voire de « réussite » et de réalisation de soi. De ce point de vue il y a une continuité avec l'ordre ancien (modèle Ben Ali) qui portait en lui une contradiction entre un ordre autoritaire utilisant les institutions de l'Etat pour contrôler et orienter cet inversement des valeurs d'un côté, et de l'autre la mise en place d'un système de corruption affairiste qui dès que l'autorité de l'Etat est ébranlée, gagne immédiatement du terrain et s'installe comme une véritable alternative. L'économie parallèle et la corruption qui lui sont consubstantielles ont aujourd'hui atteint un niveau tel en Tunisie qu'on peut affirmer que le point de rupture est déjà atteint et le basculement dans le chaos peut à tout moment se produire.

Ce basculement se situe au point de jonction entre les deux modèles de rupture à savoir : la rupture religieuse ou idéologiquement motivée et la rupture mafieuse. Les deux visent l'autorité de l'Etat et son éventuel effondrement. (Le cas libyen) On a pu entrevoir les signes avant-coureurs de ce danger, dans le sud tunisien. L'irruption de la violence à Ben Guerden le 7 mars 2016 quand la ville fut tenue plusieurs heures par les terroristes, illustre parfaitement l'hypothèse de la rupture visant la restauration d'un ordre ancien à travers la radicalisation terroriste. Pour protéger leurs intérêts, les barons de la mafia peuvent ne pas hésiter à pactiser avec les terroristes dès lors qu'il y a un socle culturel commun cimenté par l'appartenance à la même communauté religieuse. Le récent exemple de la possible implication de la société française Lafarge dans des affaires avec Daech en Syrie -malgré l'absence de lien culturel et idéologique- illustre bien l'idée que rien ne résiste à la convergence d'intérêts mercantiles.

La Tunisie vit, aujourd'hui, une période cruciale dans son processus de rupture révolutionnaire. Les dangers qui guettent cette rupture paradigmatique sont multiples et peuvent être résumés dans les différents points de rupture déjà atteint. Point de rupture institutionnel : illustré par le statu quo actuel et le blocage de l'appareil de l'Etat. Le délitement de l'Etat se traduit par le remplacement de l'intérêt général par les intérêts corporatistes et personnels, par la perte de l'autorité du politique, censée être la traduction de la volonté du peuple, au profit des lobbies, par le non-respect de la hiérarchie, par la perte de confiance dans l'administration et dans la justice.

Point de rupture socio-culturel : l'absence d'un projet de société clairement défini, a ouvert en grand la porte aux thèses les plus rétrogrades. Le plus grave c'est d'entrevoir déjà les prémices d'une opposition de deux Tunisie sur la base de deux conceptions de société, une d'inspiration religieuse (halal) et une autre d'inspiration occidentale et laïque (haram). Feu Bourguiba avait tout fait pour éviter un tel schisme social. Hélas, nous manquons aujourd'hui de politiciens de cette envergure. Le régionalisme, le clanisme, les oppositions des classes, les « Beldi vs non Beldi selon une typographie sociale qui prévalait dans la Grande Bretagne du 18e siècle, avant la révolution industrielle !) ont resurgi. Le télescopage social (tadafaa) appelé de tous ses vœux par M. Ghannouchi se profile à l'horizon et personne ne peut en prédire les conséquences.

Point de rupture économique : les faits sont têtus disait Lénine et en voici quelques-uns. Les finances publiques en déshérence avancée, caisses sociales en faillite technique, endettement extérieur record, balance commerciale déficitaire, réserves en devises au plus bas (70 jours tout au plus), chômage record (17%), inflation à presque 8%, corruption endémique, et pour couronner le tout, le transfert de l'économie de la main de l'Etat à celle de la mafia (l'informel se situe à 65% selon les estimations les plus optimistes) ce qui a appauvri l'Etat et entrainé sa non solvabilité comme ultime étape avant son effondrement.

Cet effondrement annoncé très maladroitement par le président de la république le lendemain de l'attaque terroriste au musée du Bardo ne sera pas dû à la radicalisation terroriste -celle-ci étant momentanément écartée- comme il le préconisait mais à sa méconnaissance ainsi que celle de ses acolytes islamistes et de tous les acteurs majeurs sur la scène politique et syndicale, des véritables enjeux de la rupture révolutionnaire et des dangers qu'elle comporte. Aujourd'hui, on ne sait pas sur quoi va déboucher cette rupture révolutionnaire. Tous les points de rupture sont désormais atteints, la limite admissible est à son paroxysme, la Tunisie est à présent extrêmement vulnérable. Elle peut à tout moment basculer de l'autre côté de la ligne Maginot ! Ceux qui comptent sur l'Union européenne, sur les Etats-Unis ou sur Sidi Mehrez pour sauver la situation doivent se rendre à l'évidence et assumer leur responsabilité historique. Les élus, l'exécutif, les syndicats et les partis politiques sont tous responsables du chaos qui guette la Tunisie. A ce jour, toutes ces catégories nous ont donné l'affligeante preuve de leur ignorance des enjeux majeurs de la Tunisie, empêtrés qu'ils sont dans des querelles personnelles mesquines à la hauteur de la petitesse de leurs esprits et de leur incompétence individuelle et collective.

Le pays ne produit plus de la valeur, ni dans l'économie, ni dans l'art, ni dans le sport et encore moins dans la politique, circuler il n'y a rien à voir !
Reste à savoir si la jeunesse de ce pays et les patriotes désintéressés, sont-ils prêts, à assumer leur responsabilité et à s'engager sur la voie de la rupture avec l'ordre ancien en vue de l'instauration d'un ordre nouveau ? Vont-ils envisager la rupture révolutionnaire comme action de l'Homme libre et responsable et non comme une obéissance à un ordre cosmologique ? Vont-ils œuvrer à être acteurs de notre destinée collective et de notre histoire et envisager la rupture comme un mieux-être culturel, politique, économique et social ?

Devant l'urgence de la situation et de sa gravité, il est impératif que ces forces silencieuses s'organisent entres-elles et s'engagent dans la bataille politique tant qu'il est encore possible, pour sauver ce qui peut l'être encore. Il faudrait proposer une offre politique nouvelle basée sur le sens de la responsabilité, la reddition des comptes et le professionnalisme, dans le cadre d'un contrat programme.

Pour que la rupture puisse être envisagée en tenant compte de nos erreurs passées, il faudrait inverser la défectueuse formule actuelle et commencer par la mise en place d'une vision, d'un programme, de plans d'action et en dernier lieu, trouver un personnel politique digne de ce nom, capable de porter un projet de société et une alternative à la rupture négative. Il faudrait alors investir le champ politique, actuellement occupé par les médiocres et les arrivistes, dire la vérité au peuple tunisien et le mettre lui-aussi devant ses responsabilités, envisager les solutions politiques, économiques, sociales et sécuritaires qui s'imposent et avoir le courage d'affronter les difficultés et d'être prêt à en payer le prix politique si nécessaire. Je l'appelle de tous mes vœux : « fa imma hayaton wa imma fanaa » !


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