Ce qui s'est passé samedi 28 juillet 2018 à la séance plénière de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), ne cesse d'alimenter le débat. Le vote de confiance, ou pas, en faveur du ministre de l'Intérieur de Youssef Chahed a créé un véritable conflit au sein des groupes parlementaires. Et si tous les regards étaient braqués sur Nidaa Tounes, Machrouû Tounes n'en demeure pas moins affecté.
Comme on le sait, des rebondissements et des revirements, il y en a eu lors de la plénière, notamment chez les partis dits centristes, modernistes et démocrates. Ce sont les trois principales formations du Centre, en l'occurrence le sous bloc de Nidaa Tounes, favorable à Hafedh Caïd Essebsi, Machrouû Tounes et Afek qui ont connu en l'espace de quelques heures, alors que les débats battaient leur plein dans la salle, des soubresauts avant de se rendre à l'évidence. En effet, au moment où les choses commençaient à se décanter avec l'émergence d'un courant net en faveur de l'octroi de la confiance au nouveau ministre, Hichem Fourati, les récalcitrants au sein des trois courants précités se sont résignés à suivre le mouvement et opter pour la même décision en faveur du ministre proposé par le chef du gouvernement, Youssef Chahed.
Parmi ces courants, on citera le bloc d'Al Horra du parti Machrouû Tounes, dont la majorité, qui avait décidé de suivre le mot d'ordre consistant à s'abstenir, a fini par opter pour un vote favorable et s'associer, ainsi aux « cinq rebelles » qui s'étaient prononcés clairement et publiquement pour un soutien au vote de confiance. Le chef de file de ce courant, Sahbi Ben Fredj a explicité, aujourd'hui même lors de son passage au micro d'Amina Ben Douwa sur les ondes de Radio Mosaïque Fm, les dessous du vote.
Il a commencé par dire que le vote pour le ministre de l'Intérieur s'imposait, car il aurait été aberrant de passer à côté. « Il s'agit d'un portefeuille ministériel de souveraineté chapeautant la sécurité, notamment par les temps qui courent où le pays vie en pleine saison touristique prometteuse et où les défis sécuritaires sont aussi nombreux que complexes ». C'est donc dans la logique des choses qu'il fallait procéder au pourvoi de ladite vacance, loin de tout tiraillement partisan et loin des calculs étroits répondant à des considérations d'ordre personnel.
Mais au delà de la question du vote de samedi, Sahbi Ben Fredj, chef de file d'un courant influent à Machrouû Tounes, semble incarner une orientation nouvelle pour la période à venir. « On ne peut pas aller aux échéances de 2019 dans un tel état de dispersion », s'est-il exclamé. « Après tout, aussi bien Nidaa, Afek, le bloc patriotique, toutes ces forces politiques forment un corps, théoriquement homogène. Favorables à un Etat moderne, démocratique, tolérant et progressiste, nous aspirons tous à nous opposer à un éventuel pouvoir concentré entre les mains d'Ennahdha, sans oublier que d'autres mouvement pourraient percer, tel Harak al Irada, le PDL et Attayar. Mais en nous présentant dans l'état où nous nous trouvons aujourd'hui, nous nous dirigeons tout droit vers une situation semblable à celle de fin 2011 lorsque la Troïka, dominée par Ennahdha accaparait les leviers réels du pouvoir ».
D'ailleurs, les opposants à Youssef ont tout fait, ajoute Ben Fredj, pour l'isoler et le faire paraître comme étant le protégé d'Ennahdha pour justifier leurs attaques contre lui, alors que le chef du gouvernement est de la même famille démocrate et pourrait même en constituer un chef valable et efficace dans le sens où il bénéficie déjà d'un bon capital de sympathie et de popularité l'habilitant à conduire le camp centriste et démocrate Le dirigeant à Machrouû Tounes reconnaît qu'il a œuvré et œuvre encore pour rapprocher les points de vue et les positions entre les différentes sensibilités de ce camp afin de constituer une force homogène et efficace. Et d'enchaîner, « ceux qui ont voté pour le ministre de l'Intérieur, en dehors du bloc d'Ennahdha, soit 84 élus peuvent constitue un large noyau autour duquel et sur lequel on peut bâtir du solide pour peu qu'on se débarrasse des alter egos et de la fixation sur la prise du leadership ». « D'ailleurs l'initiative d'avoir un terrain d'entente avec Youssef Chahed et de jouer les ponts pour concilier entre les diverses orientations, est venue, en premier lieu, de notre groupe », assure Sahbi Ben Fredj. « Ainsi, la rencontre entre le chef du gouvernement et les membres du bloc et le secrétaire général s'est déroulée dans des conditions constructives, révèle encore Ben Fredj laissant entendre que tout est possible si on laisse de côté les intérêts personnels et étroits ».
Comme on le constate, le responsable à Machrouû Tounes tente de se placer au-dessus de la mêlée afin de se réserver le droit et la latitude de poursuivre le rôle de pont entre les diverses formations politiques centristes. C'est ainsi que tout le long de l'interview, il n'a adressé aucune critique aux courants politiques courtisés, surtout pas au président de la République et à son fils HCE. Sahbi Ben Fredj, qui finit par reconnaître que le vrai adversaire demeure, le parti Ennahdha, estime que même ce dernier n'est pas prêt à prendre le pouvoir comme l'affirment de nombreux analystes, surtout au vu de la conjoncture internationale actuelle. C'est dire que ce parti, même en cas de victoire aux prochaines législatives, pourrait très bien céder le poste de président de la République ou même du gouvernement à d'autres formations politiques. Car il ne faut pas oublier ses déboires lors de son exercice en 2012 et 2013.
En tout état de cause, une nouvelle vision semble en train naître consistant en la formation d'une grande force centriste, seule capable de tenir tête à Ennahdha. Cette vision paraît, plutôt, idéaliste, mais pour peu qu'on délaisse le complexe du leadership, le projet est séduisant. Mais les partisans éventuels d'une telle idée, plus que jamais réalisable après le coup de maître du 28 juillet 2018, sont appelés de s'y atteler sans trop tarder. 2019, c'est demain.