Il y a 8 ans, le 17 décembre 2010, protestant une décision administrative, un jeune marchand ambulant s'est immolé par le feu à Sidi Bouzid. Quelques jours après, le président de la République fuit le pays et le laisse livré à lui-même. On a appelé ça révolution. Les occidentaux ont appelé ça la révolution du jasmin. Le jeune, on l'a appelé martyr. Les occidentaux, l'ont transformé en diplômé de l'enseignement supérieur, poussé au désespoir et au suicide par une dictature sanguinaire. Les historiens auront du mal à dire ce qui s'est réellement passé les jours, les mois et les années suivant ce 17 décembre 2010. La vérité est autre, mais chacun a la sienne. La colère actuelle des gilets jaunes français est supérieure à celle des soi-disant révolutionnaires tunisiens entre le 17 décembre et le 14 janvier. A la différence que derrière les gilets jaunes français, il n'y a pas de snipers, il n'y a pas d'ONG, il n'y a pas d'Al Jazeera et France 24, il n'y a pas d'islamistes, il n'y a pas de George Soros. Huit ans après le 17 décembre 2010, le bilan est triste. Une femme connue pour son mercenariat et ses mensonges a été chargée de présider une instance nationale pour nous dire la vérité et nous rendre la dignité. Huit ans après, et après quelques dizaines de millions de dinars dépensés, la vérité est étouffée et la dignité a disparu. Huit ans après le 17 décembre 2010, on a toujours des marchands ambulants poursuivis par l'administration municipale. Y en a même qui se sont immolés par le feu que ni Al Jazeera ni France 24 n'ont vu. Le 17 décembre 2010, on avait un mort. Le 17 décembre 2018, on enregistre des centaines de morts à cause du terrorisme. Nous étions un rempart contre le terrorisme, nous sommes devenus des exportateurs de terroristes. Y en a même qui ont occupé les plus hauts postes à la tête de l'Etat. Le 17 décembre 2010, on avait une, deux, trois familles de corrompus qui se pavanaient en toute indécence. Le 17 décembre 2018, on a des centaines de gros bonnets corrompus. Y en a même qui se pavanent avec des licences d'ONG anti-corruption et nous donnent des leçons de patriotisme, de savoir-vivre, de journalisme et d'intégrité. Le 17 décembre 2010, on avait un Etat comptant beaucoup de défauts et qui manquait de vision globale et de politique sociale juste. Le 17 décembre 2018, on a un Etat par défaut qui n'a ni vision, ni politique. Et on doit nous estimer heureux, car la politique de nos gouvernants d'avant 2015 était de remplacer l'Etat défaillant par un Etat islamique et un califat néo-ottoman.
Malgré tout ce qui précède, je reste persuadé que notre situation au 17 décembre 2018 est meilleure que le 17 décembre 2010. Les Français ont bien modernisé la Tunisie, mais la Tunisie était colonisée. La Tunisie d'avant l'indépendance était plus moderne qu'après, mais elle est indépendante et c'est ce qui compte le plus. La Tunisie d'après la révolution est plus chaotique qu'avant, mais elle est démocratique et libre du joug dictatorial et c'est ce qui compte le plus. Nos enfants ne connaitront pas de torture, ne connaitront pas de censure, ne subiront pas le zèle d'un flic et le racket d'un Trabelsi. Nos gouvernants, nous les choisirons et les critiquerons. Nos corrompus, nous les dénoncerons et les emprisonnerons. Nos islamistes, nous les obligerons à adopter la civilité de l'Etat et à abandonner la violence. Nos projets de dictateurs, nous les étoufferons.
Le chef du gouvernement Youssef Chahed était en Arabie Saoudite du 12 au 15 décembre. Il y a rencontré le Roi et le prince héritier avec qui il a eu des tête-à-tête fructueux. A l'issue de la visite, il nous a annoncé avoir réussi à obtenir quelque 1,5 milliard de dinars (soit 500 millions de dollars) sous une forme à fixer ultérieurement. De la mendicité ? Ça y ressemble. Les Saoudiens ont le sens de l'accueil, surtout en cette période post-scandale Khashoggi, et Youssef Chahed a été très bien reçu. Tant mieux ! Mais fallait-il en arriver là ? A aller quémander quelques dollars un prince et un roi à la réputation actuelle des plus sulfureuses ? Où sont les principes, quelle valeur pour les idéaux ? Entre la théorie et la réalité du terrain, il y a un gap. En realpolitik, il n'y a point d'idéaux ni de principes. Le même prince saoudien a été reçu par Donald Trump. En son temps, Nicolas Sarkozy recevait Bachar El Assad et Moammar Gueddafi à Paris (et il lui a même dressé une tente). Le roi du « donnage » de leçons Moncef Marzouki aime bien insulter les dictateurs et les sanguinaires, mais il devient une carpette devant le sultan turc et le prince qatari.
Pendant que Youssef Chahed était à Ryadh, espérant obtenir 500 millions $, les grèves et préavis de grève se multipliaient à Tunis. Entre les contrôleurs aériens (qui menaçaient de fermer le ciel tunisien), les transporteurs de carburant et les distributeurs de bonbonnes de gaz, on avait l'embarras du choix. Les enseignants ont fait ce que bon leur semblait en toute indécence et impunité. Nos enfants n'ont pas passé leurs examens, mais cela ne semble pas trop agacer leurs éducateurs. Les enfants de riches iront à l'école privée et réussiront, les enfants de pauvres auront le choix entre les camps des chômeurs diplômés remplissant les cafés, les boulots de contrebandiers ou de marchands ambulants qui s'immoleront un jour par le feu ou encore ceux des émigrés clandestins traversant la Méditerranée à bord d'un « chqaf » (embarcation de fortune). Pendant que Youssef Chahed était à Ryadh, espérant obtenir 500 millions $, les députés faisaient l'école buissonnière pour les uns et bloquaient des lois importantes pour les autres. D'autres lois (encore plus importantes pour l'économie du pays) dorment dans les casiers depuis des mois. Peut-on vraiment dénoncer ces enseignants-grévistes qui n'ont plus d'autre solution que la grève pour obtenir des droits ? Peut-on vraiment dénoncer des députés qui n'ont pas vraiment les moyens d'examiner en toute sérénité autant de lois importantes ?
La réalité étant ce qu'elle est, le gouvernant (quelle que soit son identité politique) a des arbitrages à faire et des urgences à gérer. Pour y faire face, il n'y a pas 36.000 solutions, il suffit d'adopter les méthodes qui ont réussi ailleurs pour booster la productivité, relancer la croissance et réduire le déficit budgétaire, l'inflation et le chômage. La solution idoine est que tout le monde se mette au travail et produise des richesses supérieures à ses réclamations. On n'en est pas là. On ne dénonce pas le fonctionnaire absent du bureau ou l'ouvrier qui a mis sa blouse bleue sur le porte-manteau, on préfère porter un gilet rouge et rajouter une couche de problèmes et de zizanie à ce qui existe déjà. L'autre solution est de privatiser les sociétés publiques où l'Etat n'a plus à être (RNTA, Star, Oaca, etc). On n'en est pas là, l'UGTT et quelques députés gauchistes vivent encore à l'ère soviétique et bloquent tout le process. Cette même UGTT qui a bien voulu privatiser sa société d'assurances et vendre son hôtel, tous les deux déficitaires, mais qui refuse que l'Etat fasse de même. L'autre solution est de réduire les impôts des entreprises créatrices d'emploi pour qu'elles puissent investir. On n'en est pas là, la mentalité socialiste de gauche domine la scène et l'administration préfère user du bâton du contrôle fiscal plutôt que de la carotte des encouragements fiscaux. L'autre solution est de débureaucratiser l'administration pour que celle-ci soit une facilitatrice des acteurs économiques et non un facteur de blocage, mais on n'en est pas là. L'autre solution est d'attaquer le commerce informel et le pousser à rejoindre l'économie réelle, mais on n'en est pas là, les mafias sévissent partout et les lois actuelles poussent plutôt vers l'évasion fiscale que l'inverse.
Les blocages sont multiples et leurs raisons sont nombreuses. La réalité étant ce qu'elle est, le gouvernant (quelle que soit son identité politique) a des arbitrages à faire et des urgences à gérer. Huit ans après le 17 décembre 2010, les multiples solutions sont inapplicables et le peuple a besoin de manger. Il ne travaille pas et veut un salaire, il observe la grève et veut être rémunéré. Autrement, il te bloque les autres appareils de production et prend en otage tes gamins. Que faire ? Le chef du gouvernement Youssef Chahed était en Arabie Saoudite du 12 au 15 décembre. Il y a rencontré le Roi et le prince héritier avec qui il a eu des tête-à-tête fructueux. A l'issue de la visite, il nous a annoncé avoir réussi à obtenir quelque 1,5 milliard de dinars (soit 500 millions de dollars) sous une forme à fixer ultérieurement. De la mendicité ? C'en est une ! « Joyeuse » fête de la révolution !