C'est une loi de finances tronquée par rapport à sa version initiale qui sera promulguée et publiée au Journal officiel. Le recul du gouvernement sur les dispositions de la loi ajustant à la hausse l'imposition sur les bénéfices de certaines activités commerciales demeure toujours inexplicable. On attendait sur ce sujet un éclairage à défaut d'une franche explication de la part du Chef du gouvernement, Youssef Chahed, à l'occasion de sa récente interview télévisée sur la chaîne El Watania1. Malheureusement, il n'en fut rien. Pourtant, la question lui fut posée, suggérant même que ce rétropédalage du gouvernement a été ressenti par beaucoup comme un cadeau aux lobbys contre l'intérêt général. Youssef Chahed a préféré botter en touche en insistant sur les mesures sociales contenues dans la loi de finances. Voulait-il signifier par là qu'il ne fallait pas se focaliser outre mesure sur un cadeau plus que les autres? Comme si le renforcement des moyens du Fonds pour l'emploi ou celui du Fonds d'amorçage ou bien l'augmentation du montant de l'aide servie aux familles nécessiteuses étaient comparables. Or, l'esprit qui anime ceux-ci ne peut être assimilé à celui là-bas.
Et comme pour corser le tout, voila que l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois retire de la loi de finances l'article 36 relatif à la levée du secret professionnel imposé à certains métiers lorsqu'il s'agit d'affaires où la suspicion de fraude, de blanchiment ou de financement du terrorisme est pressentie sinon légitime, faisant ressembler l'architecture globale de la loi de finances à la tour de Pise.
Et ce n'est pas tout. Une autre mesure totalement incompréhensible est venue s'ajouter au décor : l'abrogation de la circulaire n° 2017-09 de la Banque centrale de Tunisie (BCT) fixant les « conditions de financement de l'importation de produits non prioritaires » en vertu de laquelle il est interdit aux établissements de crédits « de mettre à la disposition de leurs clients des concours financier – crédits, avances, crédits documentaires ou autres garanties bancaires - pour le financement de l'importation d'une liste de 220 produits que « moyennant la constitution par les importateurs de déposits sur leurs fonds propres couvrant la totalité de la valeur des importations envisagées ». Cette mesure avait, à l'époque, provoqué une véritable levée de boucliers de certains importateurs, notamment ceux-là même qui, récemment, ont joué la bronca contre l'ajustement de leur contribution fiscale imposition, c'est-à-dire les franchisés d'enseignes internationales et particulièrement les franchises internationales de prêt à porter. L'année dernière, ils ont obtenu gain de cause, dès lors qu'ils ont été exclus de la liste des produits visés par la circulaire. Cette année, rebelote au niveau de l'imposition des bénéfices.
Plus généralement, l'abrogation de cette circulaire pose un certain nombre d'interrogations. Il convient de savoir qui en est l'inspirateur. La BCT ? Cela contreviendrait, à l'évidence, à la politique menée jusque là par l'institut d'émission pour contenir le déficit des paiements courants. Car, pas plus tard qu'il y a deux semaines, le Conseil d'administration de la BCT avait exprimé dans un communiqué « son inquiétude vis-à-vis de l'élargissement du déficit de la balance commerciale » et de son effet sur le creusement du déficit des paiements courants. A cet égard, on était loin de s'attendre à l'abrogation de cette fameuse circulaire visant à limiter les importations. En revanche, on pouvait logiquement imaginer que la BCT est susceptible d'opérer un tour de vis supplémentaire à la limitation des importations et étendre cette liste à d'autres produits, comme par exemple ceux qui en ont été exclus l'année dernière.
Dans l'hypothèse où cette mesure d'abrogation n'est pas inspirée par l'autorité monétaire, les regards ne peuvent, dès lors, que se tourner vers le gouvernement. Qu'avait-il à solliciter une telle mesure à la BCT? En effet, l'effarant déficit commercial enregistré à la fin du mois de novembre 2018, de plus de 17,3 milliards de dinars contre 14,4 milliards de dinars pour les 11 premiers mois de 2017, préfigure d'un chute des réserves en devises, si tout est égal par ailleurs. Mais aussi d'une possible dégradation du taux de change du dinar et partant, d'enfermer le pays dans une spirale sans fin d'un déficit qui détérioration de taux de change qui lui-même renchérit les importations qui vont creuser le déficit commercial…
Après ses déboires budgétaires, le gouvernement n'avait-il pas mieux à faire ? Comme par exemple inviter les responsables des blocs parlementaires qui le soutiennent à fixer ensemble un calendrier précis d'examen et d'adoption des multiples projets de loi de réforme économique dont la mise en œuvre dégage les perspectives, détermine le cap, rassure les opérateurs et les investisseurs plus que les bailleurs de fonds. Ce cadeau là, ce sera peut-être pour une prochaine fois. Bonne année, quand même.