Un seul point bloquant se dresse contre la sortie de la Tunisie de la liste du Gafi et donc de celle de l'Union européenne : l'adhésion des professions non-financières et à leur tête les avocats aux efforts de l'Etat de lutte contre le financement du terrorisme et du blanchiment de capitaux. Malgré tous les efforts consentis, le 13 février dernier, l'Union européenne a maintenu la Tunisie sur la liste noire pour le financement du terrorisme et du blanchiment de capitaux. Et en cause, le pays n'a pas fait le nécessaire pour répondre aux normes du Groupe d'action financière (Gafi). Il est épinglé pour 7 lacunes, mais une seule empêche la Tunisie de sortir du groupe non-coopératif établi par le groupement : que les professions non-financières (avocats, experts-comptables, notaires, joailliers, etc.) acceptent d'être vigilants et de lever le secret professionnel dans les affaires d'un cadre très précis celui du financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. Sauf que couvrir les évadés fiscaux semble être une ligne rouge pour ces professions et à leur tête les avocats, supposés être les premiers défenseurs du respect de la loi et surtout les premiers à la mettre en application, surtout lorsqu'il est question de préserver la nation des dangers qui la guettent.
Selon les informations recueillies par Business News, l'Italie qui copréside avec les Etats-Unis le Groupe d'examen de la coopération internationale (ICRG) avait proposé lors d'une des réunions d'envoyer un groupe d'experts du Mena Gafi pour une visite "on-site" en Tunisie en mai prochain, même si pour l'instant tous les critères ne sont pas complétement remplis. La proposition a été présentée au cours de la réunion de Paris et soutenue donc par l'Italie et la France, mais finalement les Américains ont opposé leur veto, jusqu'à la finalisation des travaux, considérant que la non adhésion des professions financières est un point bloquant et que la Tunisie ne peut pas faire l'exception. Ainsi, il suffirait, selon nos sources, que cette loi passe pour que le Gafi Mena planifie sa visite afin qu'on soit présenté dans l'ordre du jour de la prochaine assemblée du Gafi (qui se tient deux fois par an, l'une en juin et l'autre en octobre) afin que la Tunisie soit retirée de la liste. Pour sa part, l'Union européenne a certifié à la Tunisie qu'elle sera retirée de sa liste noire, dans le mois qui suivra la décision du Gafi. Certes, il y a 7 points sur lesquels la Tunisie doit faire des avancées, mais celui-ci est le seul qui représente un blocage, sachant que pour le Registre du commerce la loi est passée et il reste les textes applicatifs ; et puis pour le gel des avoirs des personnes et organismes soutenant le terrorisme, la loi a été entravée à l'Assemblée des représentants du peuple.
Il faut dire que le fait que le dinar ne soit pas convertible et que tous les mouvements en devises doivent transiter par la Banque centrale de Tunisie et systématiquement contrôlés, a été d'une grande aide pour convaincre les différentes parties prenantes qu'il n'y a pas de risque que le pays devienne une plaque tournante du financement du terrorisme et du blanchiment d'argent. Le seul petit point qu'on puisse nous reprocher est la quantité de liquidité qui circule via le circuit parallèle et qui pourrait justement être entravée par l'adhésion des professions non-financières aux efforts de l'Etat tunisien pour combattre l'évasion fiscale et la contrebande –NDLR des activités intimement liées au financement du terrorisme et au blanchiment d'argent–. Un travail devra aussi être fait par les experts-comptables sur les mouvements entre entreprises mères et filiales, pour vérifier qu'elles ne sont pas des plateformes de transition d'argents sales.
Pour résumer, ce qui se passe en Tunisie colle bien au dicton tunisien qui dit : «Il tue le mort et assiste à ses funérailles». Les mêmes personnes responsables de ce blacklistage se dressent aujourd'hui pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme étant l'inaction du gouvernement. Un comble. Premiers responsables, les élus qui sont en train de bloquer certains projets de loi nécessaires pour que le pays avance, mais aussi les professions libérales et à leur tête les avocats, qui se sont élevés contre l'article 36 de la Loi de finances 2019. Ils ont même déposé un recours contre cet article pour inconstitutionnalité et ont eu gain de cause. Le hic, c'est que partout dans le monde, du moins dans les pays démocratiques et qui se respectent, de tels mécanismes existent et les professions non-financières y adhérent : elles représentent un rempart contre ces activités illicites et aident leurs pays respectifs à mettre en lumière les comportements condamnables, tels que le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent. Mais, en Tunisie, nos compatriotes, et surtout les avocats censés être le modèle à suivre, ont estimé que cela relève du secret professionnel et qu'on doit protéger de telles pratiques !
Mais, il faut dire que la Tunisie va finir par devenir un cas d'école, car même les organismes officiels supposés être transparents et travailler pour cette cause ne le sont pas. Juste pour citer un cas concret, la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) qui a refusé de se positionner dans l'affaire des Daïmi en publiant un communiqué flou. La commission n'a pas démenti l'existence d'un rapport les incriminant, mais a plutôt nié la publication de ce rapport qui établit que les frères Abdelmonem et Mounir Daïmi sont mouillés dans des affaires de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme et que d'importantes sommes d'argent ont transité par leurs comptes bancaires et servi à des fins autres que le secours humanitaire dont ils se prévalent. La Ctaf, qui aurait dû être en première ligne pour dénoncer ce genre d'agissement et les mettre sur la table, a préféré se taire et appliquer la politique de l'autruche !
Un seul et unique pas sépare la Tunisie de sa sortie de la liste du Gafi et donc de celle de l'Union européenne. Mais, c'était sans compter sur le patriotisme de certains avocats & compagnie, qui estiment que défendre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent relève du secret professionnel et donc doit être défendu bec et ongles. Tant pis pour le pays… il se débrouillera !