Malgré les leçons des précédentes échéances électorales, c'est en rangs dispersés que le camp dit « progressiste », aborde les élections législatives de 2019. Une ribambelle de partis tente d'hériter du million et quelques voix du Nidaa historique de 2014, tout en essayant de barrer le chemin aux nouveaux venus tels que Nabil Karoui, Abir Moussi et 3ich Tounsi, mais les chances de réussite sont très minces. Si la scène politique tunisienne devait être le Titanic, le camp progressiste serait son orchestre. La loi électorale interdit la publication et le commentaire des sondages d'opinion pendant cette période jusqu'à la tenue des élections. Mais il ne faut pas être statisticien ni docteur en mathématiques pour savoir que, d'ores et déjà, le camp dit progressiste se dirige vers les prochaines échéances représenté par des dizaines de partis qui s'en réclament. Tous ces partis se ressemblent au niveau de la structure. Ce sont des groupements agglutinés autour d'une personne, un leader plus ou moins charismatique, et qui tentent de donner une image de sérieux et de crédibilité. Au niveau du discours politique, c'est également identique à peu de choses près. Grosso modo, le discours s'articule autour de « nous on ne fait pas la politique comme les autres, nous sommes meilleurs parce plus compétents, patriotes, expérimentés etc ». Clamer faire partie du camp progressiste et démocrate devrait reposer sur un socle de valeurs connues concernant notamment la défense des droits. Toutefois, la pratique politique tunisienne depuis la révolution a fait que la dénomination « progressiste » est devenue l'antonyme de « islamiste ». Une dénomination servant à délimiter les camps sans pour autant contenir une réelle signification politique. Cela s'est illustré à plusieurs reprises quand il a fallu exprimer dans la pratique les prétendues valeurs progressistes et démocratiques. Sans doute l'exemple le plus parlant est celui du rapport de la Colibe (commission des libertés individuelles), commission ad hoc créée par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, pour proposer des améliorations concernant les lois régissant les libertés individuelles. Un tel combat aurait dû être la réoccupation majeure des partis progressistes aussi bien pour les réelles avancées législatives proposées que pour isoler politiquement Ennahda et les énervés qui l'entourent comme les ex LPR ou les CPR. Pourtant, la frilosité et la lâcheté des partis « démocrates » ont fait que Bochra Belhaj Hmida, présidente de la Colibe, et toute la commission se sont retrouvés tout seuls dans ce combat. Livrée en pâture aux milices électroniques des fondamentalistes, Bochra Belhaj Hmida et ses propositions de loi n'ont eu aucun soutien politique réel de la part des partis démocrates hormis quelques communiqués publiés dans la douleur. Il va sans dire que le projet de loi en question, qui n'a concerné que l'égalité de l'héritage parmi un ensemble d'autres mesures, a été enterré profondément dès son arrivée à l'Assemblée avec la complicité de ces mêmes partis progressistes. Quand on dit partis dits « progressistes », on parle de l'ensemble de ces formations qui se bousculent au centre à l'instar de Nidaa Tounes et de ses différentes ramifications comme Machrouû et Beni Watani et on ajoute Afek, Al Badil, Massar, Al Jomhouri etc. Les appels au rassemblement, dits et répétés depuis la révolution, n'ont pas eu d'écho dans ces partis et ils ont choisi, pour la plupart, de disputer les prochaines élections avec leurs propres listes. Mais quel est l'électorat qu'ils espèrent attirer ? D'un côté, il y a ce qui reste de Nidaa Tounes et les partis qui en sont issus comme Machrouû Tounes, Tahya Tounes, Beni Watani, Amal Tounes etc. Ils vivent tous sur le fantasme de la recréation de la machine électorale Nidaa Touns de 2014. Leur ambition est de récupérer l'électorat qui a permis la victoire de Nidaa il y a cinq ans en matérialisant le « vrai Nidaa », pas celui qui aurait été perverti par Hafedh Caïd Essebsi and co. Seulement, ces partis ne disposent plus de deux arguments décisifs dans la victoire de 2014 : le premier est qu'il n'y plus d'ennemi commun, de danger imminent, appelé Ennahdha, du fait du consensus établi depuis 2014. Le deuxième est Béji Caïd Essebsi, qui était et restera le seul et unique ciment qui peut rassembler les éléments qui ont constitué Nidaa Tounes, dont un certain Nabil Karoui à l'époque… Pour les autres, la traversée du désert continue. L'objectif maximal est de grappiller quelques sièges à l'Assemblée et, ambition ultime, en avoir un nombre suffisant pour constituer un bloc parlementaire. L'objectif est d'avoir assez de poids pour pouvoir négocier avec les autres après les élections et tenter d'avoir une part du gâteau.
Tous ces partis braconnent sur les mêmes terres électorales et s'évertuent donc, à se tirer dans les pattes. Les partis modernistes sont les critiques les plus virulents et les plus efficaces de leurs pairs, au grand profit d'Ennahdha qui n'a plus qu'à jouer sur l'image de manque de sérieux que dégagent les progressistes. D'autant plus que l'argument traditionnel du grand méchant parti islamiste qui va modifier notre modèle social, qui va mettre des voiles à toutes les femmes et faire appliquer la Chariâa, n'est plus audible par l'électorat. Les partis modernistes restent incapables de renouveler leur discours politique et semblent totalement déconnectés des préoccupations réelles des Tunisiens. Des préoccupations récupérées de manière immorale par les Nabil Karoui, 3ich Tounsi et Abir Moussi. D'ailleurs, l'un des grands échecs des partis modernistes et progressistes est de ne pas avoir vu venir ces nouveaux entrepreneurs de la politique. Quand les médias et les sondages alertaient depuis plus de deux ans sur la colère des électeurs, sur le gouffre qui sépare la classe politique du peuple et sur l'arrivée de « projets » politiques basés sur des associations au financement occulte, les partis progressistes, du haut de leur tour d'ivoire accusaient le miroir de ne pas refléter l'image qu'ils voulaient voir.
La famille démocrate et progressiste est allée de déception en déception depuis la révolution jusqu' à nos jours. Aujourd'hui, elle est désemparée et en proie à l'effritement quand on voit ce qu'il est advenu de Nidaa Tounes ou du Front populaire. Rien ne suggère aujourd'hui une quelconque prise de conscience ou redressement de la situation, ce qui augura d'une énième claque électorale en octobre 2019.