Les élections présidentielles anticipées qui auront lieu le 15 septembre 2019 pourraient être déterminantes pour l'avenir de la Tunisie. Elles ont une importance exceptionnelle pour deux raisons. La première est qu'elles vont précéder les législatives et pourront affecter leurs résultats. La deuxième est que dans les conditions actuelles, et malgré ce qu'on dit des prérogatives limitées du Président de la République, son rôle sera déterminant pour la prochaine période. En effet, il est fortement probable que les élections législatives produiront un Parlement fragmenté, sans un groupe parlementaire fort autour duquel pourra se constituer un gouvernement stable. Cela fera en sorte que le Président de la République sera appelé à jouer un rôle de modérateur clé du jeu politique. Au vu de ces circonstances, de quel Président de la République avons-nous besoin ? Ou bien que doit-on demander à tout candidat aux présidentielles, pour pouvoir choisir celui (celle) qui est le plus à même de jouer avec succès le rôle central qui lui est imparti pendant cette phase décisive ? Bien sûr il y a les exigences morales et de personnalité que nous attendons d'un Président. Celles d'un Président qui est honnête et propre, qui est patriote et aime son pays, qui est attaché à sa souveraineté, et qui a une forte personnalité, capable de prendre les décisions les plus difficiles et d'assumer pleinement son rôle. Tout le monde peut être d'accord sur ces conditions. Mais au-delà de la personnalité que doit-on chercher chez un candidat, ou doit-on demander à un candidat de nous dire quant à son projet et de ce qu'il (elle) compte faire ? Nous avons besoin que les candidats expliquent et présentent leur feuille de route et ce qu'ils comptent faire, pour nous permettre de choisir et de décider où porter notre voix le jour des élections.
Dans les conditions actuelles de la Tunisie, au vu de la crise politique, sociale et économique que connait le pays, et des difficultés qui nous attendent, je pense que nous devons demander à chaque candidat de nous clarifier son projet et son programme concernant quatre questions fondamentales, mais qui sont déterminantes. La première question : quel est rôle le Président compte jouer pour nous permettre de sortir de la crise politique et comment il (elle) compte le faire ? La crise politique, qui frappe le pays, et qui entraine une incapacité à le gouverner et le diriger est la cause essentielle des autres crises à caractère social, économique et financier. Le système politique mis en place en Tunisie depuis la révolution a échoué et a contribué fortement à la situation d'instabilité politique, du manque de clarté et de dilution dans les responsabilités, et l'incapacité à faire les choix et prendre les décisions dont le pays a besoin. Continuer avec le système actuel est une recette pour un enlisement qui s'approfondira et des difficultés économiques qui s'aggraveront. Le système politique est constitué d'un ensemble d'institutions et de règles qui régissent l'accès au pouvoir et les modalités de son exercice. Il comprend d'abord le régime politique tel que déterminé par la Constitution, y compris la répartition des pouvoirs. Mais il comprend aussi le code électoral et le fonctionnement des institutions qui régissent les élections et leur financement. De même que les lois et les règles de fonctionnement et de financement des partis politiques, du parlement par le biais de son règlement intérieur. Le pays a besoin d'urgence d'une réforme profonde de ses institutions politiques et de sa gestion politique. Le Président de la République a un rôle central à jouer dans cette phase. Tout candidat est appelé à présenter et expliquer sa vision et son programme sur cette question. Le candidat doit nous fournir une feuille de route claire quant à la réforme politique à mettre en œuvre pour sortir la Tunisie de son blocage. Le Président est appelé à prendre des initiatives et à piloter un tel programme de réformes. Une vision et un programme sont nécessaires, mais ne sont pas suffisants. Il faut les compléter par la définition d'une approche d'action politique qui permet de mobiliser les parties prenantes, en particulier les partis politiques et le Parlement, mais aussi la société civile et la population pour soutenir et faire aboutir un tel projet. Une vision est nécessaire pour permettre l'émergence d'une coalition pour le faire. Mais une telle coalition doit être aussi mise à l'œuvre pour faire passer les réformes. Le candidat est appelé à jouer un rôle pivot dans tout ce processus. Pour développer une vision et jouer ce rôle le(la) candidat(e) peut appartenir à un parti, comme il(elle) peut être un(e) indépendant(e). Mais le cas où il(elle) est indépendant(e), cela lui offre plus de chances dé réussir à mobiliser la plus grande part possible des acteurs politiques. La deuxième question concerne la sécurité du pays et la conclusion décisive de la lutte contre le terrorisme. Le pays a fait face à des attaques répétées et dévastatrices des groupes terroristes, en provenance de l'intérieur et de l'extérieur. Avec ses forces de sécurité et militaires, il a fait face à ces attaques et réalisé des gains importants qui ont permis de faire reculer ce danger, de cantonner les groupes terroristes et de les battre dans une large mesure. Mais le danger demeure, les risques sont toujours présents. Nous avons besoin de conclure cette lutte de manière décisive et d'éradiquer définitivement ce fléau. Cela nécessite une stratégie qui va au-delà de ce qui est sécuritaire et de s'attaquer aux sources profondes aussi, qui se trouvent dans l'éducation, dans l'action culturelle, dans le financement, et dans le développement socio-économique. Tout candidat à la Présidence est appelé à nous proposer un projet, une feuille de route quant à son plan de lutte contre le terrorisme, ce qui nécessite des prises de position concernant des aspects importants de la question, comme celle du rôle des associations et le financement du terrorisme, ou du rôle des systèmes d'éducation parallèles qui sèment les graines de l'idéologie terroriste. Le déploiement d'une stratégie globale et cohérente de lutte contre le terrorisme est nécessaire, y compris comment on va gérer les revenants des théâtres d'action à l'étranger. La troisième question concerne la reconstruction de l'Etat tunisien. Le président de la République est « le chef de l'Etat, symbole de son unité. Il garantit son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution ». L'Etat tunisien a été affaibli pendant les dernières années et ne remplit plus convenablement son rôle dans divers domaines, dont la sécurité, la provision adéquate des divers services publics et la conduite des politiques publiques. Bien que l'ensemble des prérogatives dans ce domaine sont du ressort du gouvernement, le Président de la République peut jouer un rôle de guide et d'impulsion dans les questions essentielles qui constituent des piliers de la sécurité, la stabilité et le développement du pays. Il y a d'abord la justice dont la performance est déterminante pour le bon fonctionnement du système politique, la garantie des droits et le respect de la Constitution, la paix sociale et l'efficacité de la gouvernance. Le Président de la République est appelé à veiller à l'indépendance et au bon fonctionnement du système judicaire tout en respectant les prérogatives de chaque partie. Il y a ensuite le système éducatif qui est un autre pilier de la construction de l'Etat, en assurant la formation du tunisien comme citoyen libre et responsable, en lui permettant de s'intégrer dans la modernité et contribuer à la prospérité du pays. Dans ces deux domaines cruciaux, ainsi que d'autres domaines possibles choisis sélectivement, le candidat à la Présidence est appelé à se prononcer sur le rôle qu'il (elle) compte jouer, et les initiatives qu'il (elle) compte prendre pour impulser et aider à la reconstruction de l'Etat dont il est le Chef. La quatrième question concerne le positionnement géopolitique de la Tunisie dans un environnement complexe et mouvant aussi bien au niveau mondial qu'au niveau régional. Etant un petit pays, la Tunisie dépend de son environnement et de son positionnement pour tirer meilleur profit de ses relations avec ses voisins, dans sa région et au niveau international. Savoir se positionner au mieux pour défendre, sauvegarder et promouvoir les intérêts de la Tunisie est fondamental. Tout candidat à la Présidence est appelé à décliner sa vision et son approche pour défendre ces intérêts et assurer le meilleur positionnement de la Tunisie quant à ce qui se passe chez nos voisins immédiats, avec l'Europe ainsi qu'avec les grandes puissances. Ces choix ont des répercussions immédiates sur notre sécurité, notre stabilité politique ainsi que nos relations économiques. Ce que nous avons avancé est un nombre très limité de questions. Mais elles sont d'une importance capitale pour l'avenir immédiat et plus lointain de la Tunisie. Nous avons besoin de projets et de propositions claires, ce qui permettra un débat réel qui va au-delà des slogans creux et des positionnements personnels qui sont sans intérêt. Nous n'avons pas besoin de candidat qui multiple les projets et propositions à propos de tout et de rien. Nous n'avons pas besoin de candidat qui multiple les promesses et construit des chimères, qui seront oubliés aussi vite. Les prérogatives du Président de la République sont certes limitées dans le cadre du système actuel, mais le rôle qu'il (elle) est appelé à jouer sera déterminant. La Tunisie a besoin de changer de cap, et a besoin d'un leader qui montre la voie. Celui qui nous convaincra qu'il (elle) peut jouer et réussir ce rôle pourra (devra) bénéficier du soutien et de l'adhésion des tunisiens. A défaut de cela, ce sera une nouvelle occasion manquée pour la Tunisie. Pourra-t-on éviter ce ratage ? Je l'espère vivement !