Fortement appréhendés et à peu près devinés, les résultats des législatives, annoncés hier par les instituts de sondage, ont confirmé toutes les craintes. En tête des sondages Emrhod à la sortie des urnes c'est Ennahdha qui a raflé le plus grand nombre de sièges, soit 40, suivi par Qalb Tounes avec 35 sièges, 17 pour Tahya Tounes et la coalition Al Karama, 15 pour le mouvement Achâab et 14 pour le PDL et Attayar. Une configuration qui place le pays devant un avenir incertain tant les intérêts des nouveaux occupants de l'hémicycle peuvent sembler irréconciliables… On y est. Après s'être livrés une guerre sans merci, où tous les coups étaient permis, entre rivaux de la même famille ou de courants diamétralement opposés, les résultats sortie des urnes des législatives sont là. S'ils ne sont pas définitifs à l'heure actuelle, ils en disent long sur le nouveau visage qu'arborera le parlement pour les 5 prochaines années. Le visage cousu de pièces qui ne collent pas, digne du monstre Frankenstein.
Selon la tendance qui se confirmera les prochains jours et selon les déclarations des différents partis, plus de la moitié des élus devront se retrouver, bon gré mal gré, dans l'opposition. A commencer par le second Qalb Tounes.
Le porte-parole de Nabil Karoui et tête de liste de Qalb Tounes au Kef, Hatem Mliki, a clairement annoncé et très vite après la proclamation des résultats hier, que le parti Qalb Tounes ne compte pas s'allier avec le mouvement Ennahdha. « D'abord, on considère que le mouvement Ennahdha est responsable de l'échec économique et social dans le pays. Ennahdha a, également, été pour la loi sur l'exclusion, chose qui témoigne de sa perception des valeurs de la démocratie. Au final, on estime qu'il est responsable de la décision politique d'incarcérer le chef de Qalb Tounes, Nabil Karoui. Pour toutes ces raisons, il n'y a aucune tractation possible avec Ennahdha », a assuré M. Milki rassurant ainsi les électeurs, sans doute nombreux, à avoir opté pour le vote barrage contre Ennahdha en donnant leur voix sans trop de conviction non plus à Qalb Tounes.
Le secrétaire général de Tahya Tounes, Selim Azzabi est resté, pour sa part plutôt évasif sur les éventuelles alliances parlementaires de son parti. Il a assuré que Tahya Tounes ne peut se prononcer sur les éventuelles alliances avant les résultats définitifs de l'Isie tout en précisant que son parti essayera de réunir la famille politique qui lui ressemble au parlement. Des déclarations qui laissent la porte ouverte à toutes les alliances possibles, s'il peut sembler que « l'ennemi juré » de Tahya Tounes est le parti de Nabil Karoui, Qalb Tounes, c'est sans doute ce dernier qui aura plus de raisons de repousser les éventuelles avances du parti de Youssef Chahed. Quant à Ennahdha, d'un côté comme de l'autre, rien de bien tranché n'a filtré sur la question. Sans heurter les sensibilités de chaque parti, on est resté dans une distance cordiale qui peut être exploitée au besoin. C'est d'ailleurs dans ce bon vivre ensemble qu'ont depuis toujours évolué le parti islamiste et le chef du gouvernement et président de Tahya Tounes, Youssef Chahed. Jusqu'au dernier moment et peu avant les élections, c'est rappelons-le ensemble qu'ils ont voulu, contre vents et marées, faire passer à l'ARP l'amendement de la loi électorale pour écarter Nabil Karoui.
Pour ce qui est de la coalition Al Karama, les choses sont relativement claires. Forte d'avoir grignoté les électeurs mécontents d'Ennahdha, et affichant un positionnement radical et révolutionniste par excellence, les options ne sont pas nombreuses. Le leader de la Coalition, Seifeddine Makhlouf, l'a bien précisé, il n'y aura aucune contre-indication pour gouverner avec Ennahdha. Il a expliqué qu'Al Karama n'a pas de problème pour gouverner avec les forces prônant les valeurs de la révolution, précisant qu'il ne peut y avoir d'alliance possible avec le parti Qalb Tounes bien que la décision finale revienne aux structures directives de la coalition. C'est à Ennahdha qu'incombera donc la lourde décision de vouloir ou non porter cette croix. Si le parti islamiste a joué la carte des valeurs de la révolution pour remonter dans les sondages qui le disaient deuxième jusqu'à très peu avant la tenue des élections, il reste quand même un parti qui aura du mal à débarbouiller son image à l'étranger flanqué d'un personnage comme Seifeddine Makhlouf. Surtout que ce ne sont pas ses 17 sièges qui feront significativement pencher la balance en sa faveur. Cela dit le parti est aux abois, on le sent bien…
Le secrétaire général du mouvement Achâab, Zouheir Maghzaoui a affirmé aujourd'hui que son parti se placera dans l'opposition. Il a précisé qu'il s'est retrouvé dans une position inconfortable étant devant une majorité composée d'un parti « qui assume l'échec des gouvernements successifs et un autre autour duquel planent des suspicions ». Rien d'étonnant à ce que Achâab ne s'allie pas avec Ennahdha, c'est l'un des partis qui a toujours déploré la coalition au pouvoir et lui a fait porter la responsabilité de « l'échec de sortie de la crise ». Un avis partagé avec Attayar qui s'est directement exprimé hier sur sa position au parlement. Ce sera l'opposition. « Nous félicitions les Tunisiens pour la réussite du processus démocratique et la tenue des élections. La démocratie requiert toutefois une certaine conscience et nous respectons le choix du peuple. Les deux partis, à priori vainqueurs, sont des partis avec lesquels nous n'avons rien en commun et en ce qui concerne au moins l'un d'eux, il n'y a aucun moyen d'entente. Nous serons donc dans une opposition sérieuse et responsable et nous œuvrerons à défendre nos valeurs » avait clamé hier le secrétaire général du parti Attayar, Mohamed Abbou. Une position qui n'est pas une surprise et qui a jusque-là bien réussi au parti qui renforce petit à petit son poids.
S'il y a un parti qui a toujours affiché une hostilité viscérale à l'encontre Ennahdha, c'est bien le PDL. Aucune alliance n'est possible et ne le sera sans doute jamais avec ce parti. Les deux lignes parallèles qui ne se rejoignent jamais, c'est bien celles-là et ce n'est pas prêt de changer. La présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi a réitéré hier son engagement à ne jamais s'allier avec les « islamistes et les intégristes » appelant à réunir la famille progressiste partageant sa vision en vue de former un gouvernement sans les « Frères musulmans et leurs dérivés ». « Si la formation d'un gouvernement sans les islamistes n'était pas possible, le PDL sera dans les rangs de l'opposition » a-t-elle souligné.
C'est quoique l'on dise un peu ambitieux d'espérer pouvoir se passer d'Ennahdha pour créer le prochain gouvernement. Le parti est certes très loin d'avoir une majorité assez confortable, mais il faudra composer avec les égos surdimensionnés des uns et des autres, plaie qui a donné naissance à ce parlement difforme.
Si des partis vont trouver leur place dans l'opposition, d'autres devront sortir les calculettes. Ennahdha, qui a eu bien chaud et pour qui cette « victoire » revêt un certain goût de défaite est loin de la majorité des 86 sièges obtenus par Nidaa en 2014 et cela a un goût plutôt amer. Il lui faudra faire les concessions qui s'imposent, porter les croix à bras le corps, racoler par ci par là, pour avoir les 109 voix nécessaires à voter un gouvernement. La tâche ne sera pas facile et même à l'étranger, on s'inquiète de voir la Tunisie devenir ingouvernable. C'est sans compter sur l'opportunisme de nos politiciens…