L'économie tunisienne n'a pas profité pleinement de son intégration à l'économie mondiale. Les données macroéconomiques avancées et sur lesquelles l'ancien régime a fondé une grande partie de sa légitimité cachent une autre réalité du pays, la pauvreté et le déséquilibre régional. Mohamed Haddar, professeur d'économie à l'université Tunis El Manar, a développé, à Hammamet, une analyse intéressante au cours du dernier forum de l'Association des économistes tunisiens. L'économie tunisienne, gangrénée par une corruption institutionnalisée, n'a pas pu fonctionner à sa pleine capacité : « Plus de corruption, c'est moins d'investissement et par conséquent moins de croissance et moins d'emplois. Il en a résulté : un déficit d'investissement privé et une aggravation de la pauvreté ». Dans ce contexte, l'économie tunisienne n'a pas bien carburé : « Très fragile, le type de développement suivi n'a pas pu absorber la main d'œuvre qualifiée, jeune et ambitieuse. Le nombre de chômeurs en Tunisie a atteint en 2010, 500 mille dont 157 mille diplômés. Les estimations actuelles tablent sur 700 mille dont 220 mille diplômés. Sur le plan social, le chômage, la pauvreté, la marginalisation et l'exclusion ont été un facteur essentiel de la chute de l'ancien régime. Ce modèle suivi ne peut pas répondre aux aspirations des tunisiens ». L'importance des changements institutionnels sera décisive : « Il est donc urgent de prendre les décisions pertinentes et structurelles qui engageront une transformation de la société tunisienne dans la bonne direction. Comment restaurer l'économie et comment redonner de l'espoir et répondre aux attentes sociales et démocratiques ? : « La Révolution présente une nouvelle situation. Elle exige de nouvelles réflexions et une rupture avec les schémas de développement économique et social anciens. L'actuel gouvernement soutient à maintes occasions, que son objectif est de créer un impact immédiat sans toutefois hypothéquer l'avenir. Cette position n'est pas défendable. Le financement du déficit budgétaire par un endettement extérieur affecte les générations futures. Les dépenses, décidées aujourd'hui seront payées par eux. Pire, elles peuvent développer une culture d'assistance alors que la Tunisie actuelle a besoin de beaucoup plus de travail pour créer la richesse et non la détruire. Le peuple revendique l'emploi, la dignité et la démocratie ». Pr Haddar note que les attentes sont énormes et les moyens sont rares. Comment faire face à toutes ces questions ? L'équation est très difficile à résoudre en l'espace de quelques mois. Les dix sept mesures avancées, résumées en cinq priorités, constituent un catalogue de projets et de thérapies expérimentés qui n'ont pas donné les résultats escomptés. Pour le programme présenté au G8, des voix s'élèvent contre ce plan. Edmund Phelps, Prix Nobel d'économie en 2006 l'a critiqué ouvertement. Pour lui, le danger qui pourrait guetter la Tunisie postrévolutionnaire est celui de prescrire des subventions sans abattre les obstacles à l'inclusion. Ce serait, alors, une démarche dangereuse qui pourrait porter tort à l'éthique du travail des Tunisiens, si précieuse en cette période cruciale. Pour le Pr Haddar, la Tunisie doit doubler le niveau de l'investissement privé national qui est resté faible de l'ordre de 11 à 12% du PIB alors que les pays asiatiques consacrent environ 25%. Le manque de dynamisme du secteur privé est un élément structurel qui explique la faiblesse dans la création d'emplois. La prospérité future du pays repose sur un secteur dynamique, innovant et créateur d'entreprises, de richesses et d'emplois. Trois orientations complémentaires stratégiques méritent d'être explorées pour les entreprises tunisiennes. Ces entreprises doivent être mieux armées pour affronter la concurrence, développer un réel partenariat avec le capital étranger et chercher à s'implanter dans les pays concurrents. Bref, conclut Pr Haddar la réussite du nouveau modèle économique de la Tunisie résulterait en grande partie du génie, du savoir-faire et de la réactivité de son capital humain et de ses investisseurs.