Le mouvement Ennahdha a clos son congrès en entretenant l'ambigüité. Tout en se réclamant d'une ligne « modérée », les congressistes n'en ont pas moins adopté dans leur programme politique une motion soulignant la nécessité de « criminaliser l'atteinte au sacré ». L'extrême sensibilité du sujet et son indéniable influence sur la paix sociale ainsi que le risque qu'il fait courir à l'unité des Tunisiens, à leur cohabitation et à leur concorde ne semblent pas avoir ému le parti islamiste qui affiche ses prétentions d'établir un « nouvel ordre moral ». Ceci ne manque certes pas d'inquiéter une bonne partie de la société civile. Car, déjà, et alors que « Ennahdha » ne tient que provisoirement les rênes du pouvoir, son attitude vis-à-vis des différents événements de La Manouba au Palais de « Abdellia » en passant par Nessma ou l'Africa n'a nullement contribué à soigner cette image d'un « parti attaché à s'inscrire dans la démocratie, l'humanisme et l'économie de marché » que les dirigeants nahdhaouis, à l'instar de Rached Ghannouchi, tentent d'imposer aux citoyens. Bien au contraire, cette attitude est jugée conciliante à l'égard des vrais fomenteurs de troubles, alors que des condamnations à des peines de prison ou à des amendes ont été prononcées contre des personnes pour « troubles à l'ordre public » et « atteinte aux bonnes mœurs ». En fait, ce comportement n'a fait que révéler la nature profonde des cadres d'Ennahdha : aucun ministre n'a pris la défense du droit à la création ou celle de ces deux jeunes condamnés à une lourde peine de prison pour avoir posté des caricatures du prophète sur leur page Facebook. Que l'on se souvienne ! Les ministres et parlementaires nahdhaouis avaient, à l'époque, renoncé à introduire la charia dans la nouvelle Constitution. Ils obtiennent aujourd'hui, « la criminalisation de l'atteinte au sacré ». Actuellement, le sacré est si peu déterminé et chacun se plaît à le définir. S'agit-il de Dieu, du Coran, du Prophète, de ses Compagnons ? Et puis, concrètement, comment touche-t-on au sacré ? À la commission des droits et des libertés de l'Assemblée nationale constituante, il semble qu'on y discute sans fin pour y voir clair. Sans grand résultat pour l'instant. Ah ! Cette même commission, présidée par Férida Laabidi, est chargée précisément de donner sa définition de la presse et la liberté d'expression et de création. Bien que s'en défendant du bout des lèvres, il est vrai, Ennahdha est justement soupçonné de vouloir restreindre la liberté d'expression et de création. Les propos de bon nombre de ses chantres en administrent des preuves indéniables. « Toute société, prône un congressiste, a ses tabous qui constituent des limites à la liberté. Un autre représentant au congrès exprime son souhait de « voir ce principe énoncé dans la future Constitution ». Pour ce dernier, il appartiendra à la loi de définir ce qui relève de « l'atteinte au sacré » et de la critique de la religion. Nous assistons là, sans l'ombre d'un doute, à des attitudes ambivalentes destinées d'une part « à rassurer le peuple tunisien quant au caractère modéré du parti » et d'autre part à caresser son aile dure dans le sens du poil en concédant l'inscription de cette motion dans le programme politique général. Pourquoi tout cela ? Pour conserver le pouvoir, bien sûr. Car, pour Ennahdha, toute son idéologie semble se résumer en ce maître-mot. Pour « obtenir de meilleurs résultats aux prochaines élections », dixit Hamadi Jebali, le parti est disposé aux concessions et aux compromis avec la société tunisienne. En adoptant cette motion, les dirigeants et les militants d'Ennahdha livrent, à n'en point douter, tous les créateurs à la vindicte de ceux auxquels ils viennent tout juste de délivrer un visa. Si, naguère, la partie dite jihadiste de la mouvance salafiste opérait « hors légalité », rien ne pourrait dans l'avenir l'arrêter pour « des actes qu'elle jugera rédempteurs » surtout qu'un tel jugement est totalement subjectif. M. BELLAKHAL