Au lendemain de l'assassinat de Mohamed Brahmi, Vincent Geisser, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), a accordé au Nouvel Observateur une interview dans laquelle il décrypte l'événement et le rapport de force politique en Tunisie. Il a assuré qu'il sera difficile de découvrir les vrais commanditaires des assassinats politiques perpétrés en Tunisie et qu'il était commode pour tout le monde de désigner les salafistes comme étant les exécutants de ces crimes mais que, même si cela était vrai, ils (les salafistes) ne seraient que de petites mains, soulignant au passage que Brahmi ne représentait pour eux aucune menace. Brahmi (tout comme Belaïd) ne pouvait, selon M. Geisser, déranger que des gens ayant un intérêt à semer le trouble et à engendrer la radicalisation en créant la panique et en coupant court au dialogue ; des gens, dit-il, qui veulent créer une impasse qui rendra nécessaire un recours autoritaire, des gens menacés, précise le chercheur qui note que l'expérience pionnière tunisienne gêne notamment dans le monde arabe. Interrogé sur les accusations portées contre Ennahdha d'être derrière ce crime, M. Geisser pense que le recours aux assassinats politiques n'était point le mode de fonctionnement du parti et qu'il n'avait aucun intérêt à perpétrer ce genre d'action, mais que les derniers événements jouent contre Ennahdha et la desservent complètement. Quant au choix de la date d'exécution, le chercheur a estimé que ce n'était pas un hasard et que c'était une construction programmée. D'autre part, M. Geisser pense que ce crime ne sera pas le dernier et craint que la prochaine victime soit une femme de l'opposition, supputant l'existence d'un agenda du crime et un modus operandi basé sur des attaques froides, provoquant des réactions passionnelles et dépassant le simple affrontement politique. L'interviewé parle d'un grand défi qui attend le pouvoir, celui de sécuriser et protéger le personnel politique malgré un système sécuritaire critiquable. Répondant à une question sur les scénarios envisageables pour la Tunisie de demain, M. Geisser a rejeté le parallèle que certains sont tentés de faire avec l'Egypte indiquant que l'armée tunisienne, contrairement à l'égyptienne, est démocratique et pas assez forte pour prendre le pouvoir. Tout en relevant le paradoxe que l'on peut faire confiance aux forces qui s'affrontent et que le dialogue est maintenu malgré la violence et les critiques. Mais, conclut le chercheur, on peut craindre d'autres troubles, la moralisation en cours demeurant encore parasitée par cette logique terroriste qu'on a du mal à expliquer. Synthèse de M. Bellakhal