Par Soufiane ben farhat Le dernier épisode de l'enlèvement des diplomates tunisiens en Libye est un camouflet pour notre diplomatie. La libération d'un chef milicien libyen traduit devant la justice pour affaire terroriste intensifie l'humiliation subie. Soyons clairs. Notre diplomatie cumule les déboires. Les bourdes et les erreurs de casting s'entremêlent. Au point où l'on arrive à s'interroger : «Y a-t-il un pilote dans l'avion ?» La gestion du dossier libyen en est une parfaite navrante illustration. On ne sait pas sur quel pied danser à ce propos. La diplomatie y est conçue à l'aune des partis politiques de la majorité gouvernante, aux vues contradictoires. Les segmentations partisanes l'emportent. Les intérêts des partis et coteries en imposent à l'intérêt supérieur de la nation. Résumons. Au début, la Tunisie était représentée diplomatiquement et activement à l'est de la Libye. Le gouvernement reconnu internationalement a pignon sur rue à Tobrouk. Le principal parti majoritaire, Nida Tounès, s'en accommodait volontiers. Son principal allié ne le voit toutefois pas de cet œil. Ennahdha a publiquement fustigé la reconnaissance du seul gouvernement de Tobrouk et la présence active dans sa sphère d'influence territoriale. Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, n'y est pas allé du dos de la cuillère. A l'entendre, la Tunisie doit faire avec toutes les composantes libyennes, sans égard aux orientations idéologiques et aux casquettes partisanes. Or, les milices libyennes sévissant à l'ouest constituent l'une des principales nébuleuses terroristes du pays. N'empêche, le ministre des Affaires étrangères — à l'époque secrétaire général de Nida Tounès — étend la présence active diplomatique tunisienne à l'ouest, c'est-à-dire Tripoli et ses dépendances. Du coup, ceux de l'est prennent ombrage et l'un de leurs ministres se distingue par ses attitudes et déclarations outrageantes à l'endroit de la Tunisie. Il affirme même qu'il faudrait reconnaître deux autorités en Tunisie, l'une à Tunis et l'autre au Jebel Châambi, par allusion aux terroristes implantés dans la montagne du centre-ouest depuis deux ans. Et lorsque les miliciens de Daech investissent Syrte, Rached Ghannouchi saute sur l'occasion pour prétendre que les milices de Fajr Libya constituent le principal allié et bouclier de la Tunisie contre Daech ! Occultant au passage de préciser que Fajr Libya sont, eux aussi, des terroristes qui s'assument comme tels de surcroît. Et nous le font savoir à nos dépens, risques et périls. Une semaine avant cette déclaration, Fajr Libya avait séquestré pas moins de 172 Tunisiens à Tripoli en vue de faire libérer Walid Gleib, un chef milicien libyen déféré devant la justice tunisienne pour une affaire classée terroriste. Une semaine après la même déclaration, rebelote dans le registre de l'horreur. Dix membres de la mission diplomatique tunisienne à Tripoli sont séquestrés, suite à un assaut mené par un groupe armé libyen contre les locaux du consulat général de Tunisie à Tripoli. La séquestration des membres du corps consulaire tunisien est en étroit rapport avec l'arrestation en Tunisie du dirigeant de Fajr Libya, Walid Gleib. Les ravisseurs réclamaient sa libération. Ainsi donc, nos prétendus alliés, notre prétendu «bouclier», nous attaquent en règle. Et nous imposent, moyennant enlèvements et menaces, de leur remettre un de leurs dirigeants, déféré devant la justice tunisienne pour crime terroriste. Ce qui fut fait en un tournemain. Taieb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, n'a réagi qu'avant-hier, au terme d'une atteinte caractérisée à notre souveraineté doublée d'une humiliation en bonne et due forme. Il a décidé la fermeture du consulat général de Tunisie à Tripoli et le retour du personnel en Tunisie. De bout en bout, c'est un mauvais cas d'école, le manuel de ce qu'il ne faut pas faire. Notre diplomatie y laisse des plumes. Notre marge de manœuvre en Libye est profondément compromise. On a fait montre d'un amateurisme diplomatique pour le moins choquant. Il tranche net avec les traditions du ministère des Affaires étrangères. On a cédé aux premières injonctions des terroristes. Partout, c'est le cafouillage et le bricolage. Le président de la République, en charge lui aussi du dossier diplomatique, ainsi que le chef du gouvernement doivent réagir. Et le plus tôt sera le mieux. Autrement, nous mériterons sous peu amplement d'être qualifiés de pays en voie de sous-développement. Parce que le ridicule investit amplement le vide.