Le rapt collectif de diplomates tunisiens en Libye par une milice terroriste est un fait éminemment grave. De nouveau, la souveraineté tunisienne est frappée de plein fouet. Face à un laxisme des autorités pour le moins déroutant. Une dizaine de diplomates tunisiens ont été enlevés avant-hier au siège même de notre consulat général à Tripoli. On n'en est pas au premier méfait en la matière. Près de deux cents Tunisiens ont été pris en otage en Libye au cours des derniers mois. Déjà, trois cadres consulaires avaient été enlevés il y a quelque temps. On ignore encore le sort de l'un d'entre eux. Il y a aussi nos collègues journalistes Soufiane Chourabi et Nedhir Ktari, enlevés en septembre dernier par une milice terroriste et dont le sort demeure brumeux. Les rumeurs les plus contradictoires, les plus folles, circulent à leur endroit. Il y a eu également les quelque 172 Tunisiens enlevés en Libye le mois dernier et relâchés depuis sans que l'on sache grand-chose sur cette affaire. Certes, une cellule de crise a bien été mise en place avant-hier, regroupant plusieurs départements ministériels, en plus de la présidence de la République. On attend impatiemment les résultats concrets des démarches, intercessions et contacts. Seulement, des interrogations légitimes fusent. Pourquoi n'a-t-on pas anticipé ? D'autant plus que la série des derniers enlèvements de Tunisiens en Libye est liée au sort d'un terroriste libyen arrêté et traduit devant la justice tunisienne. Pourquoi n'a-t-on pas sécurisé à temps le siège du Consulat général tunisien à Tripoli, qui relève de l'extraterritorialité ? D'autant plus que, la veille, le terroriste libyen déféré devant les tribunaux tunisiens a été maintenu en détention par une sentence judiciaire. Et puis l'on est en droit de s'interroger sur la portée des postures et déclarations de certains hauts responsables tunisiens. M. Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, a bien déclaré que nous maintenons à dessein des relations diplomatiques avec les deux autorités antagoniquement rivales de Libye. A l'entendre, c'est pour préserver les intérêts tunisiens, nos réseaux de relations, notre colonie dans les régions dominées par les protagonistes respectifs, etc. Or, les crises se succèdent dans un effacement total de la diplomatie tunisienne en Libye. Notre souveraineté, le sort de nos ressortissants, nos intérêts sont bafoués et pris à partie sans que notre capacité de manœuvre dépasse le stade zéro où elle végète. A en croire que nous soyons devenus le réceptacle inactif de tous les coups tordus à notre endroit en Libye. Pourtant, le président de la République, aussi bien que le ministre des Affaires étrangères, ont tout récemment reçu des dirigeants de Fajr Libya, les milices terroristes sévissant à l'ouest et au centre de la Libye. Bien pis, Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, parti de la coalition gouvernementale majoritaire, a déclaré récemment que Fajr Libya serait notre allié et notre rempart contre les milices de Daech qui se sont emparées de Sirte et de ses environs. N'empêche que des miliciens de Fajr Libya seraient à l'origine de l'enlèvement de nos diplomates. Et le pire, dans le registre de la surenchère, est encore à craindre. Déjà problématique, le dossier libyen devient de plus en plus lourd et grave pour notre pays. Nous le subissons de plein fouet. Et nous nous contentons précisément de subir, sans aucune marge de manœuvre. Nous naviguons à vue au fil des vicissitudes obligées. Notre échec est cuisant à ce propos, malgré les nombreux atouts dont nous disposons. Nous sommes pratiquement le seul pays avec lequel la Libye a encore des frontières ouvertes. Elles s'étendent sur plus de 450 km. Et les Libyens réfugiés en Tunisie s'élèvent à plus d'un million d'âmes. Des terroristes libyens notoires entrent dans notre pays et en ressortent comme dans un moulin, en toute impunité. Ils bénéficient d'un réseau de relations et d'accointances avec les partis, aux dépens de la population et de l'Etat tunisien. Et l'on est en droit de se demander : à quel jeu pervers s'adonne tout ce beau monde ? Qu'est-ce qui explique l'attentisme, voire le laxisme, des autorités et des hautes sphères dirigeantes sous nos cieux ? Y a-t-il des compromis, sinon des compromissions non avoués ? Une séance d'audition s'impose à ce propos au Parlement. Les éclaircissements, la démarche à suivre, doivent être mis au grand jour. Par-delà les manœuvres de coulisses et les arcanes secrets d'une politique somme toute désastreuse. Autrement, l'hydre de l'anarchie de l'armée libyenne finira bien par s'installer chez nous à perpétuelle demeure. Avec son incommensurable cortège de risques et périls.