Avec ce gigantesque plan-séquence, le cinéaste mexicain Alejandro Inarritu a mérité son surnom de cinéaste millimétrique. Ce qui frappe vraiment dans le dernier film d'Alejandro Inarritu «Birdman», c'est sa capacité à nous dérouter. On ne sait plus si c'est une fiction ou une science-fiction. Ce film dans tous les cas nous apprend à casser la frontière entre les deux. D'abord, que raconte cette fiction sous forme de comédie dramatique qui a obtenu dernièrement sept oscars? En voici le synopsis : «A l'époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd'hui de monter une pièce de théâtre à Broadway, dans l'espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego... S'il s'en sort, le rideau a une chance de s'ouvrir...». Le rôle de Riggan est parfaitement porté par l'acteur Michael Keaton qui assure un premier rôle de «tourmenté par son passé» avec un professionnalisme qui lui a valu l'oscar du Meilleur acteur. Que raconte la science-fiction? C'est l'histoire d'un homme «habité» par un personnage de BD, justement le héros qu'il incarnait dans les superproductions hollywoodiennes. Ce personnage («un homme-oiseau») apparaît dans le film et donne des super-pouvoir à Riggan, comme celui de s'asseoir sur le vide, de déplacer les choses ou de voler. Ordinaire pour un film américain. Mais l'ingéniosité du réalisateur consiste à mélanger les deux genres, les deux histoires, à tel point qu'on ne sait plus dans quel registre on est inscrit. Lorsqu'on voit Riggan voler par exemple, on sait que c'est du cinéma mais ce qu'on ignore c'est : est-ce du cinéma dans la tête du personnage ou c'est simplement destiné à nous, spectateurs? D'habitude, un film de science-fiction avec un héros porte ses propres codes, tout comme la comédie dramatique d'ailleurs. Mais voici que dans «Birdman», les codes sont mélangés avec un tel sens du timing et sans parasiter le cours de la narration qu'on ne peut plus que parler d'un genre nouveau avec une histoire somme toute classique : un homme tourmenté par son passé de héros et qui veut s'en sortir. Rares sont les films qui réussissent le pari de dissoudre la frontière entre le réel et l'imaginaire. Deux heures de plan-séquence ! Voici la deuxième chose qui nous a frappés dans ce film. Effectivement, tout le film est tourné en plan séquence ou du moins c'est l'impression qu'on a. Et là, nous ne pouvons que saluer une telle prouesse technique, car pour réussir à filmer de cette manière et à nous induire en erreur parfois à tel point qu'on croit qu'on est toujours dans le même plan-séquence, il faut avoir du génie sur le plan technique. C'est pour cela que Inarritu est considéré comme un cinéaste millimétrique. Il faut vraiment avoir beaucoup d'expérience pour découvrir comment Inarritu nous a eus sur le plan visuel et on ne peut que l'admirer pour cela. Un gigantesque plan-séquence, oui ! Mais ce n'est que de la poudre aux yeux ! Dans ce sens, ce film peut servir de leçon pour nos futurs cinéastes. Mais cette réalisation époustouflante remet aussi en perspective ce que devrait être le cinéma dans notre pays, s'il ne veut pas se transformer en caricature.