Le carnage commis au cœur de la station touristique d'El-Kantaoui, à Sousse, a provoqué avant-hier une onde de choc dans tout le pays, voire dans le monde entier. Le bilan de l'attentat terroriste perpétré par Seifeddine Rezgui, un jeune étudiant en master à l'Institut supérieur des sciences appliquées et de technologie de Kairouan, est terrifiant : 39 morts et près de 36 blessés. C'est le tribut le plus lourd que paye la Tunisie post-révolutionnaire en matière de victimes du terrorisme. Ses répercussions sur l'économie, l'investissement étranger, le rang de la Tunisie auprès des agences de notations financières, mais plus encore sur la stabilité du pays et sur sa paix sociale, s'annoncent, d'ores et déjà, catastrophiques Quelques heures à la suite du drame, le chef du gouvernement, Habib Essid, tenait une conférence de presse lors de laquelle il a annoncé une série de « douze mesures immédiates ». Au moins cinq points de ce plan d'action arrivent trop tard. Pourquoi a-t-on toujours l'impression que les hommes politiques sont en retard d'une guerre ou même de deux, en Tunisie ? C'est bien après que les plus illuminés des imams wahhabites aient gagné beaucoup de temps et de terrain en enrôlant dans les rangs de la culture de la mort des milliers de jeunes précaires, désorientés ou souffrant d'un syndrome identitaire aigu, qu'on décide de fermer 80 mosquées fonctionnant hors du contrôle de l'Etat. Pourquoi autant de lenteurs et de laxisme ? Pourquoi ne pas avoir dans ce cas précis agi plus tôt ? Après notamment l'attentat sanglant du Bardo perpétré le 18 mars dernier ? Fallait-il attendre qu'un tel tsunami emporte dans une zone de forte turbulence notre pays et que des milliers de jeunes hommes partent vers les camps du jihad en Syrie et en Irak pour sévir contre les associations, écoles coraniques et partis qui prônent à visage découvert un projet de société macabre où toutes les libertés n'ont plus droit de cité ? Et puis quel intérêt aujourd'hui d'organiser un colloque national sur le terrorisme après tant de dégâts ? Après l'assassinat des leaders politiques, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, et après l'élimination de dizaines de soldats et d'agents des forces de sécurité par des groupes takfiristes ? Il aurait fallu y penser dès la fin de l'année 2011, au moment des événements meurtriers de Bir Ali Ben Khalifa. Or, à cette époque-là, un pacte secret, voire une union sacrée entre les islamistes d'Ennahdha, tenant les rênes du pouvoir, et les escadrons de la mort d'Abou Iadh, chef de Ansar Charia, a fait des groupes extrémistes les protégés de la République, ses « enfants chéris », à qui tout était permis. Y compris le prosélytisme aux abords des mosquées, des marchés et des écoles. Aujourd'hui, des imams qui prônent un discours radical, anti femmes, anticonstitution, anti-République et projihad pullulent dans les mosquées « autorisées » dans pratiquement tous les quartiers de la ville. Est-ce si compliqué de mettre à la disposition des citoyens un numéro vert pour qu'ils dénoncent tous les travers qui risquent de faire basculer dans le vide la seule démocratie en construction de ce Monde arabe si tourmenté ? Dans le train de mesures annoncées avant-hier, il manque également un point focal. Il s'agit de la fabrication d'une stratégie de communication pour affronter la propagande jihadiste qui inonde les réseaux sociaux par des images et des messages d'une force émotionnelle inouïe, à l'adresse des apprentis kamikazes. La guerre, aujourd'hui, se situe également sur la planète du virtuel monsieur le Ministre !